Une intense vapeur blanche s’élève alors que des centaines d’hommes vêtus d’un léger pagne se purifient dans l’eau froide et se disputent des talismans: ce rituel séculaire dans le nord du Japon s’est tenu pour la toute dernière fois le 17 février. Les chants passionnés de «jasso, joyasa» («corrigez et enlevez le mal») ne résonneront plus comme ils ont résonné pendant des heures samedi soir dans cette forêt de cèdres de la région d’Iwate, dans l’est du Japon. Le temple isolé de Kokuseki a accueilli une ultime fois ce rite annuel populaire, vieux de plus de 1.000 ans selon la légende. L’organisation de l’événement, qui attirait chaque année des centaines de participants et des milliers de touristes, est devenue trop lourde pour les moines et les fidèles aux cheveux souvent grisonnants d’Oshu et de sa région. Le festival «Sominsai», considéré comme un des plus singuliers du Japon, est la dernière victime de la crise démographique qui frappe durement les communautés rurales. «Il est très difficile d’organiser un festival de cette ampleur», explique le moine Daigo Fujinami devant le temple qui a ouvert ses portes en 729. «Il y a tellement de gens et c’est motivant. Mais dans les coulisses, il y a tellement de travail à faire. Je ne peux pas être aveugle face à cette réalité», regrette encore le religieux.

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Le Japon voit sa population vieillir plus rapidement que la plupart des autres pays, avec un tiers de ses habitants âgés de 65 ans et plus. Un grand nombre d’écoles, de magasins et de services de transport ont dû fermer, en particulier dans les petites villes et villages. Fort heureusement pour ce pays de tradition, d’autres temples à travers le Japon accueillent encore des festivals similaires où par exemple des hommes en pagnes se baignent dans de l’eau glacée ou honorent leurs divinités en se disputant des talismans. Certains festivals s’adaptent afin de pouvoir continuer à exister, en permettant notamment aux femmes d’assister à des cérémonies auparavant réservées aux hommes. Le coronavirus avait déjà contraint les organisateurs d’Oshu à écourter les cérémonies de prière et à pratiquer des rituels plus modestes. Samedi soir, cette dernière édition du festival s’est terminée vers 23 heures, mais elle a attiré une foule rarement vue de mémoire des participants et observateurs. Au coucher du soleil, des hommes vêtus de pagnes blancs sortent vers le temple sur une pente de montagne. Ils se baignent dans un ruisseau glacé et marchent autour du temple alors que la brise d’hiver souffle. Ils serrent les poings pour supporter le froid et crient «jasso joyasa». Certains d’entre eux immortalisent ces instants avec leurs caméras. La foule suit les hommes qui montent les marches de pierre du temple et déambulent sur les chemins de terre. La réunion a vécu son instant le plus fort lorsque des centaines «d’hommes nus» se sont rassemblées à l’intérieur du bâtiment en bois du temple pour crier, scander et se bousculer parfois dans le tumulte pour obtenir des talismans pendant plus d’une heure.

Toshiaki Kikuchi, un habitant de la région, veut croire au retour de ces hommes à pagnes et de cette foule. Il a aidé le temple et organisé le festival pendant des années. «Même sous un format différent, j’espère que cette tradition va se maintenir», a-t-il quand même espéré en fin de soirée. De nombreux participants ou simples observateurs ont exprimé à la fois leur tristesse et leur incompréhension face à la disparition du festival. «C’est la dernière édition de cette grande fête qui dure depuis 1.000 ans. Je voulais vraiment y participer», s’est tout de même réjoui Yasuo Nishimura, 49 ans, un soignant en gériatrie d’une région de l’ouest d’Osaka, à plus de dix heures de route.

Il observe que les jeunes manquent pour prendre la relève afin de faire vivre le festival des «hommes nus». L’année prochaine, Daigo Fujinami et les autres moines du temple remplaceront ce festival par des cérémonies de prières et trouveront d’autres moyens de poursuivre ces pratiques spirituelles. Mais désormais les pagnes resteront dans les armoires et les «jasso, joyasa» seront, pour toujours, silencieux.