Elles ont accouru de toute l’Amérique latine, places réservées, voire physiquement occupées, depuis des mois. Et pour les fans argentines, le concert de Taylor Swift jeudi soir à Buenos Aires est l’occasion d’échapper à un contexte électoral pesant, voire d’y porter un message contre un présidentiable perçu comme «machiste».

Les pionnières, les héroïnes, campaient sur place depuis cinq mois, tours de garde organisés avec tableau Excel et repas livrés sur place pour avoir le privilège d’être au pied de la scène au jour J. Des milliers d’autres ont «juste» attendu une quinzaine d’heures depuis la nuit de mercredi. Au stade Monumental de Buenos Aires (80.000 places), la mégastar américaine de 33 ans donnait jeudi le premier de trois concerts du Eras Tour, tournée mondiale lancée aux États-Unis en mars, et qui prendra fin en décembre 2024 au Canada.

Mais en Argentine, pour sa première venue dans le pays, Taylor Swift a été rattrapée par la politique, à dix jours d’un second tour d’élection présidentielle indécis, entre un ministre de l’Économie, Sergio Massa (centre), et un ultralibéral «antisystème», Javier Milei, souvent comparé à Donald Trump pour lequel il exprima son admiration. «Les Swifties (fans de Swift, NDLR) ne votent pas Milei!» lance une pancarte (rose) que Miriam Monllau prend en photo dans la file d’attente ultra-majoritairement féminine. Ambiance paillettes, sequins, chapeaux country, looks évoquant les différentes «époques» de la star.

Pour Miriam, 31 ans, employée dans le secteur du marketing numérique, aucun doute: «Les idées de Taylor vont à l’encontre de ce que serait Milei (…) je vois un parallèle assez fort entre lui et Trump», assure-t-elle à l’AFP. «Or elle est contre Trump, contre tout ce qu’il représente, un être machiste, patriarcal». Car à vrai dire, c’est Taylor Swift qui a rattrapé la politique, davantage que l’inverse. Le déclic, pour nombre de fans approchées par l’AFP, c’est le documentaire Miss Americana (2020), dans lequel après avoir longtemps refusé de parler politique, la star se livrait et disait ressentir désormais «le besoin d’être du bon côté de l’histoire».

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Dans la foulée, elle s’engageait en faveur des candidats Joe Biden et Kamala Harris pour la présidentielle, affirmant qu’ils aideraient l’Amérique à «commencer à guérir», après le mandat de Trump. Dans le sillage de la «nouvelle» Taylor, des fans argentins ont récemment rebondi, créant en octobre un compte sur X (ex-Twitter) du nom de «SwiftiesContraLLA» (Swifties contre La Libertad Avanza, le parti de Javier Milei). Le compte, qui en quelques semaines avait réuni quelque 3 600 fans, appelait à «ne pas voter Milei» le 19 novembre, face au «danger qu’il représente, principalement pour les femmes et la diversité». Il a depuis été suspendu. «Taylor est du côté de la diversité, des femmes. Et Milei a cette façon, disons dominante, de s’exprimer, il va directement au clash, et Taylor se prononce contre ça dans son documentaire», explique Sofia Ranui, étudiante de 21 ans.

Cependant, on ne vient pas voir Taylor Swift pour ses idées politiques mais parce qu’elle «représente tout pour nous. Que tu sois triste ou heureux, que tu aies perdu quelqu’un, ou rencontré quelqu’un, elle a une chanson pour tout», s’émerveille Milena Nuñez, 23 ans, arrivée d’Uruguay. Julieta Zavala, 24 ans, une des «campeuses» de la première heure (depuis le 31 mai) au sein d’un groupe organisé de 30 personnes, ne veut pas entendre parler de politique. «Hors sujet, rien à voir ici», sourit-elle à l’AFP tout en confectionnant des «bracelets d’amitié», petit bijou fantaisie à thème, inspiré des chansons de son idole et devenu objet-culte des Swifties dans le monde. «Ce n’est pas comme si on était toutes contre Milei. Chacune votera pour lui, ou pas», affirme-t-elle.

Et puis après tout, le vote est dans dix jours «et ce soir c’est le moment de dire: on se fait des petits bracelets, on se fait belles, on s’habille en rose, on se retrouve», raisonne Sofia. Parce que dans trois jours (de concert) «c’est fini, le nuage qui pèse toujours au-dessus des Argentins va revenir. Là, c’est notre passion folle, c’est un petit nid douillet, une échappatoire.»