Carton plein pour Anatomie d’une chute. Après sa victoire à Cannes, où il a remporté la prestigieuse palme d’or, le film de Justine Triet fait l’unanimité auprès des critiques. Un homme et une femme, tous deux écrivains, l’un raté et l’autre reconnue ; des disputes, une chute mortelle – et leur enfant malvoyant au milieu. Suicide ou homicide, la justice devra trancher. Pendant deux heures et demie, la vie conjugale se rejoue, avec ses rancœurs et ses rancunes, tandis que celle de Sandra Voyter, veuve et accusée incarnée par Sandra Hüller, vole en éclat.

«L’ombre d’un doute subsiste», écrit Étienne Sorin dans les colonnes du Figaro , qui parle du «meilleur film de procès français depuis L’Hermine, de Christian Vincent». Le critique salue l’interprétation de l’actrice principale, qui découvre à la barre une femme puissante «dont on apprend que le mari était professeur et dépressif. Cette inversion des rôles, pour ne pas dire déconstruction, n’est pas innocente. Elle peut sembler théorique, elle est au contraire formidablement incarnée», estime Sorin.

Les Échos analyse de son côté la «force du dialogue» qui oppose les protagonistes dans la salle d’audience. «Le combat est inégal. Sandra s’avère en effet fragilisée puisqu’elle ne maîtrise pas le français et le film d’offrir une remarquable étude sur la langue : le pouvoir de ceux qui savent s’en servir, la vulnérabilité des autres.» Et d’ajouter que la palme d’or 2023 «ouvre en beauté la rentrée du cinéma en relatant d’abord la tragédie d’un amour mort».

En 2016, dans son film Victoria, la réalisatrice avait déjà filmé une avocate ; elle se plonge ici dans les rouages de la justice, au cœur même de sa prise de décision, sous forme d’un huis clos judiciaire quasi-permanent. Le choix de réalisation convainc également L’Obs . Nicolas Schaller souligne la pertinence du format et de la mise en scène qui font apparaître l’enfant du couple comme l’élément-clé de ce drame, «lui qui a le son, le(s) sens mais pas l’image. Cette fameuse image manquante qui rend la vérité impossible et transforme le procès en fabrique à fictions.» Justine Triet «atteint un degré d’intensité plus profond, nourrissant le chaud de l’existence avec le froid de l’enquête», renchérit Libération . Laura Tuillier indique que le point d’orgue du film «n’est pas la vérité, le réel tel qu’il se présente à nous tous les jours dans son indescriptible chaos, mais bien la manifestation de la vérité, selon cette façon qu’ont les hommes d’imprimer un sens, notamment par le langage, à ce qui existe, à ce qui arrive.»

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Justine Triet «fait voler en éclats les codes filmiques du film de procès (plans fixes, lignes symétriques…) par un jeu de zooms, de contre-plongées et de mouvements de caméra permanent mais pleinement maîtrisé, épousant le regard de cet enfant qui vagabonde pour échapper à l’intensité des échanges», observe Thierry Chèze pour Première . «Et cette mise en scène là est surtout au service d’un scénario magistral», conclut-il. «Elle ausculte avec finesse les zones grises et la parole de chaque personnage. De bonne facture, Anatomie d’une chute s’apparente néanmoins plus à un bon téléfilm policier qu’à un grand film de procès.», nuance Olivier Ubertalli du Point .

«J’avais envie de prendre le prétexte du film de procès pour vraiment parler du couple, avec l’idée de mettre un enfant au centre, comme un témoin principal», confiait la réalisatrice à La Voix du Nord . Pari réussi – ne lui manque plus que l’approbation du public, qui pourra juger en salle de lui-même dès mercredi 23 août.