Vraie mesure coup de poing ou coup de com’ ? Depuis qu’Élisabeth Borne a annoncé samedi que les distributeurs pourraient vendre à perte leurs carburants pendant quelques mois, afin de leur permettre de «baisser davantage les prix» à la pompe, les conséquences d’une telle mesure sont largement discutées. «Avec cette mesure inédite, nous aurons des résultats tangibles pour les Français, sans subventionner le carburant», a affirmé la première ministre dans un entretien au Parisien ce week-end.

Si la cheffe du gouvernement n’a pas tenté d’estimer la baisse de prix que cette mesure pourrait entraîner, Olivier Véran a pris moins de précautions. «On parle quasiment d’un demi-euro potentiellement en moins par litre», a assuré le porte-parole de l’exécutif sur le plateau du «Grand Jury RTL-Le Figaro-M6» dimanche. «On ne dit pas que l’essence va tomber à 1,40 euro dans toutes les stations de France pendant six mois. On dit qu’il peut y avoir des opérations commerciales», a-t-il tout de même précisé. Son collègue macroniste Pieyre-Alexandre Anglade, président (Renaissance) de la commission des Affaires européennes à l’Assemblée nationale, a lui aussi estimé que, «si l’on va jusqu’à 25% de diminution par rapport au prix de vente, ça peut aller jusqu’à 47 centimes d’économisés sur un litre d’essence, c’est un geste considérable».

Une baisse de 50 centimes par litre jugée «délirante» par un haut fonctionnaire de Bercy, sous couvert d’anonymat, cité par Le Parisien ce lundi. Il n’y a qu’à regarder les multiples opérations à prix coûtant lancées par les enseignes de grande distribution ces derniers mois. À ces occasions, le carburant ne baisse que de quelques centimes par litre. Le secteur se sert en effet de l’essence et du gazole comme d’un produit d’appel, ne prenant sur leur distribution que de faibles marges. Si Olivier Gantois, le patron de l’Ufip Énergies et Mobilités, a jugé sur Franceinfo que la mesure annoncée par la première ministre ne pouvait «aller que dans le sens de la baisse des prix à la pompe», il a aussi pointé le fait que «la marge nette des distributeurs est de l’ordre de 1 centime» par litre. «On pourrait s’attendre à ce qu’ils réduisent leurs prix de quelques centimes mais ça ne va pas aller très loin», a souligné le président de l’organisation professionnelle des industries pétrolières.

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Dans une note parue dimanche, le cabinet Asterès juge même que cette annonce, uniquement incitative, pourrait être quasi sans effet. «Il est peu probable que le carburant soit massivement vendu à perte», écrit son chef économiste Sylvain Bersinger. «Une telle vente à perte est peu probable sans compensation de l’État. (…) Il est difficile d’imaginer des entreprises qui accepteraient de travailler tout en perdant de l’argent, puisqu’il deviendrait alors préférable pour elles de cesser leur activité», affirme-t-il. Quoi qu’il en soit, «le gain ne serait au mieux que de quelques centimes par litre», confirme l’économiste, estimant que «les marges des pompistes sont faibles, d’environ deux centimes par litre de carburant».

Par ailleurs, même si baisse des prix à la pompe il y a, ce ne sera pas dans l’ensemble des quelque 11.000 stations-service que compte la France. Les petites stations traditionnelles tirent en effet déjà la sonnette d’alarme. «Nous n’avons de toute manière pas les moyens de proposer de vendre le carburant à perte, même si nous en avions le droit. Seules les grandes et moyennes surfaces le peuvent… C’est donc une mesure carrément inéquitable !», s’est indigné auprès du Figaro Francis Pousse, président du syndicat professionnel Mobilians, qui représente 5800 stations-service (hors grandes surfaces). «Mes adhérents vivent à 40, 50% voire plus de la vente du carburant, donc s’ils vendent à perte, je leur donne trois mois», a-t-il averti auprès de l’AFP.

Il ne faut pas non plus exclure le risque que cette mesure génère «des effets pervers» dans la grande distribution, où 60% du carburant est vendu, selon Sylvain Bersinger. «Les automobilistes pourraient gagner quelques centimes par litre dans les stations-service des grandes surfaces. Mais il est possible que ces dernières, bénéficiant de la clientèle captive qu’elles auraient ainsi attirée, en profitent pour augmenter leurs prix en rayon de manière à compenser la perte réalisée sur la vente de carburants», juge l’économiste. Selon Le Parisien, le ministère de l’Économie lui-même ne néglige pas le risque «d’une hausse des prix d’autres produits, par ricochet», tout en rappelant que «ces grandes surfaces ont également pris des engagements en matière de blocage des prix de l’alimentaire».