Gentle Mates, Karmine Corp, Aegis ou Team du Sud… ces noms ne vous disent peut-être rien, mais les entrepreneurs derrière ces équipes d’e-sport sont très aimés du jeune public. Ce sont en effet les stars de YouTube et de Twitch Squeezie, Gotaga, Kameto, Mister MV ou Sixen, qui comptent chacun plusieurs millions d’abonnés, qui ont fondé ces structures professionnelles.

Ces équipes d’un nouveau genre se sont affrontées à Nice les 7 et 8 février derniers lors des «LFL Days», deux jours de compétition autour du jeu vidéo League of Legends. Pas moins de six des dix équipes en lice étaient fondées par des influenceurs. Une première, qui a donné lieu à un record d’audience de 234.000 spectateurs sur Twitch durant le match entre Gentle Mates, l’équipe de Squeezie, Gotaga et Brawks, et la Karmine Corp du streamer Kameto et du youtubeur Prime.

Si les influenceurs se ruent sur la création d’équipes professionnelles de jeu vidéo, c’est parce que ce nouveau business model de l’«esport-tainment», mêlant divertissement et compétition, attire les foules. Par milliers. «C’est plus qu’une mode, c’est une véritable lame de fond qui impacte l’écosystème e-sport» explique Bertrand Amar, directeur e-sport de Webedia. Le dernier baromètre France Esports Médiamétrie révélait que 10,8 millions d’internautes s’intéressent au jeu vidéo compétitif. Une opportunité à saisir.

S’entourer de créateurs de contenu pour accompagner des clubs e-sport est un pari gagnant. En 2020, Kameto fonde l’équipe Karmine Corp. Avec sa marque, l’ancien joueur professionnel et désormais streamer sur Twitch a ouvert la voie à d’autres grandes structures, à l’image du Mandatory d’Adrien «ZeratoR» Nougaret, créateur de l’évènement caritatif ZEvent.

«La Karmine, c’est plus qu’un club, c’est un phénomène», assure Arthur Perticoz, son directeur général. En septembre, l’équipe réunissait 28 000 fans à La Défense Arena. «Tous les gros clubs qui se lancent aujourd’hui sont portés par des influenceurs. C’est une obligation pour cibler les jeunes», ajoute-t-il. Le club français, qui souhaite «être l’un des plus grands du monde» doit faire sa place dans un écosystème qui se concentre autour d’une vingtaine de «top clubs» internationaux, suivant la tendance du football.

Le documentaire «Merci Internet!» sur l’ascension de Lucas Hauchard (Squeezie), sorti en janvier dernier, a mis en lumière les visages derrière sa structure e-sport Gentle Mates. À ses côtés, Gotaga, ancien joueur professionnel de Call of Duty, compte plus de 4 millions d’abonnés sur YouTube. Ce dernier n’en est pas à son coup d’essai. En 2013, il cofondait déjà la structure Vitality, toujours en activité. Gentle Mates est donc portée par les deux streamers les plus suivis en France, une étiquette revendiquée aujourd’hui. À l’origine, l’équipe se nommait «SBG», pour Squeezie, Brawks et Gotaga. Les trois jeunes hommes souhaitaient alors rester incognito.

«Squeezie prend des risques à rejoindre un projet aussi exposé. Il a toujours été un très gros gamer, mais entre jouer aux jeux vidéo et entrer dans le business de l’e-sport, il y a tout un monde», explique Samy Mazouzi, directeur e-sport de Gentle M8. «Ce qu’il veut, c’est faire découvrir l’e-sport à toutes les personnes qui ne connaissent pas cet univers.»

Et cela fonctionne. Quand ces équipes jouent, les audiences gonflent drastiquement. Elles bénéficient en effet d’un avantage : à la différence des équipes qui partent de zéro, ces «teams» d’influenceurs arrivent avec une communauté préexistante. «Kameto a créé son équipe alors qu’il était déjà très populaire, donc il a embarqué toute sa communauté comme supporters. La puissance de la Karmine aujourd’hui est unique, elle est regardée dans le monde entier», appuie Bertrand Amar, directeur e-sport de Webedia.

Mais une équipe e-sport a un coût. Comme dans toute autre discipline, il ne suffit pas d’aligner des millions pour gagner les compétitions. Mais qui dit sponsor dit plus de revenus et donc plus de budget pour, notamment, attirer les meilleurs joueurs. C’est donc aussi une compétition financière qui se joue entre ces créateurs.

Orange, Michelin, Redbull ou le CIC ont ainsi misé sur l’équipe de Kameto. «Les sponsors se dirigent assez naturellement vers les plus «gros» influenceurs. Orange n’est pas partenaire de Kamel mais bénéficie quand même de son image», explique Arthur Perticoz. Derrière l’équipe de Squeezie, on compte Deezer, Aldi ou Razer.

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Entre les frais des gaming house (lieux de vie et d’entraînement destinés aux équipes professionnelles), les salaires des joueurs et entraîneurs et ceux des fonctions supports (marketing, comptabilité, réseau technique…), le coût d’une équipe est élevé. «Un gros projet, ça peut aller jusqu’à 60.000 euros par mois, entre toute l’équipe technique, les réseaux, les joueurs, le staff, le coach», estime Maxime Tchoroukian, «Sixen», youtubeur, streamer et fondateur de la Team du Sud. En ligue européenne de League of Legends (LEC), le coût est estimé entre 2 à 4 millions d’euros par an en moyenne.

Les créateurs de contenu fondent ces équipes «surtout pour s’amuser avec leur communauté et par passion. S’ils le faisaient pour l’argent, ce ne serait pas le meilleur investissement de leur vie», précise Arthur Perticoz, qui compte une vingtaine de salariés à ses côtés pour gérer la KCorp, rentable depuis 2023 seulement. Les revenus de la marque sont partagés par tiers entre le merchandising, les sponsors et les ligues. Cette année, la KCorp, toujours «juste à l’équilibre», vise à dépasser les 10 millions d’euros de revenus.

Une fois ces équipes lancées, le rôle des influenceurs est principalement celui d’incarnation et de représentation de leur équipe, sur le devant de la scène. Ils fédèrent les fans, mais ne peuvent gérer leur entreprise seuls. «Kameto est en direct sur Twitch de 20h à 3 heures du matin. Gérer une entreprise de cette taille à côté, ce n’est pas possible», souligne Arthur Perticoz. D’autant plus que les créateurs de contenu, spécialisés dans le divertissement, «ne disposent pas forcément des compétences nécessaires en finance, en entrepreneuriat ou en gestion.» Ils restent cependant présents en coulisses, «impliqués opérationnellement» aux côtés de leurs associés, recrutés pour faire grandir le projet.

Créer une équipe e-sport est donc avant tout l’occasion de travailler son image. «Notre but, c’est de montrer que l’on est toujours un produit à la mode, parce qu’il faut générer des revenus et continuer à faire ce qui marche» affirme Sixen. Dès qu’ils le peuvent, ces créateurs de contenu s’affichent aux côtés de leurs joueurs, premiers acteurs de leur success story dans l’e-sport.