Pas question de l’enterrer. Ce mercredi, la «taxe lapin» a fait son grand retour dans le discours de politique générale du Premier ministre. «Nous allons faire payer ceux qui ne se présentent pas aux rendez-vous médicaux sans prévenir», a promis Gabriel Attal. Pour le chef du gouvernement, le temps est venu de sanctionner ces patients fantômes qui font perdre près de 2,5 millions de consultations par an aux professionnels de santé. Reste à savoir quand et comment. Contrairement à ce qu’a laissé entendre Gabriel Attal, la tâche pourrait s’avérer moins «simple» qu’il n’y paraît. À quoi pourrait ressembler la future «taxe lapin» ? Quels pourraient être son fonctionnement et son montant? Le Figaro s’est penché sur la question.
Si on ne sait toujours pas comment le gouvernement compte s’y prendre pour endiguer le fléau des «lapins médicaux», on sait d’ores et déjà ce qu’il ne veut pas: en novembre, le gouvernement a fermé la porte à un mécanisme de taxe proposé par les sénateurs dans le cadre du PLFSS 2024. Le projet reposait sur une sanction financière directement récupérée par l’Assurance maladie. La somme, dont le montant restait à définir, devait être prélevée sur le compte bancaire de l’assuré ou retenue sur les remboursements à venir. Une partie de ce montant, voire sa totalité, échouait au praticien lésé. Pas assez convaincant aux yeux de l’exécutif, qui avait fini par censurer le projet en recourant au 49.3. Le ministre de la Santé Aurélien Rousseau expliquait n’avoir «pas trouvé la solution» qui permettrait de traiter équitablement les patients selon leur mode de prise de rendez-vous. Quelques mois plus tôt, l’exécutif avait déjà rejeté l’idée d’une taxe punitive portée par les sénateurs dans le cadre de la loi Rist.
En avril 2023, Gabriel Attal, alors ministre des Comptes publiques, avait plaidé pour une pénalité financière. «Si vous ne vous présentez pas, le remboursement du rendez-vous suivant serait minoré d’une certaine somme». Somme que se partageraient, équitablement, la Caisse primaire d’assurance maladie (Cnam) et le praticien. Quelques mois plus tard, son successeur à Bercy, Thomas Cazenave, s’était montré plus évasif. Favorable à «un mécanisme qui permette de sanctionner» les patients fantômes, il avait semblé hésiter sur la nature de la punition. «Je ne sais pas si ce sera une taxe», avait-il tempéré.
Le gouvernement ne s’est pas montré plus loquace sur le rôle que pourrait être amené à jouer les plateformes de type Doctolib. Vont-elles se charger de prélever une empreinte bancaire à chaque prise de rendez-vous, comme le font déjà certaines plateformes dédiées à la téléconsultation? «Pour l’heure, aucune réunion de travail n’est prévue avec le ministère», souffle un porte-parole du secteur.
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Loin des tergiversations de l’exécutif, les médecins regorgent d’imagination. «Il y a plusieurs solutions: soit une plateforme type Doctolib provisionne une retenue, que l’on souhaiterait reversée aux médecins, soit l’Assurance maladie collecte la sanction et l’affecte à la caisse», expose la présidente du Syndicat des médecins libéraux (SML) Sophie Bauer. L’Assurance maladie ou les médecins, donc. À l’instar de Gabriel Attal, le président de l’Union française pour une médecine libre (UFML) Jérome Marty penche de son côté pour une solution intermédiaire. «Il faut nécessairement qu’une part de la sanction aille aux médecins. Quand on est dans une zone où les lapins atteignent jusqu’à 30 consultations manquées par mois, c’est intenable.»
Mais, avant de chercher à le repartir, encore faut-il définir la taille du gâteau. À combien s’élèvera la punition infligée aux patients fantômes? Les professionnels de santé espèrent une indemnisation à la hauteur du préjudice subi. «La sanction pourrait aller jusqu’au montant total de la consultation non-honorée», estime Sophie Bauer. «Personnellement ça ne me choquerait pas qu’on aille jusqu’à 25 euros pour une consultation manquée chez un généraliste. Mais il faut l’étudier», abonde Jérôme Marty.
Les blouses blanches devront sans doute revoir leurs ambitions à la baisse. En janvier 2023, dans les colonnes du Parisien, le Président avait assuré que les incivilités en matière de rendez-vous médicaux seraient «un peu sanctionnées», rien de plus. Lors de son passage à Bercy, Gabriel Attal avait penché en faveur d’une punition modérée: dix euros, «cinq pour le professionnel de santé et cinq pour l’Assurance maladie». L’exécutif pourrait être tenté de garder ce cap, en cohérence avec les «taxes lapins» de nos voisins allemands (cinq euros) et belges (quinze euros).
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Reste à lever l’obstacle juridique. L’article R. 4127-53 du code de la santé publique stipule que «les honoraires du médecin […] ne peuvent être réclamés qu’à l’occasion d’actes réellement effectués». La même obligation est reprise dans le code de déontologie médicale. Les opposants à la taxe (MG France, France Assos Santé…) n’ont d’ailleurs pas manqué de faire valoir cet argument pour disqualifier le projet du gouvernement. Il faudra donc consentir à modifier le code de la santé publique, c’est-à-dire la loi, pour espérer venir à bout des patients fantômes.
Mais les difficultés ne s’arrêteront pas là. «Comment le médecin pourra-t-il prouver à l’Assurance maladie qu’un patient ne s’est pas présenté, dans le cas où ce dernier prétend le contraire?», s’interroge Jérome Marty. «Beaucoup de juristes m’ont assuré que ce ne sera pas si simple que ça». Dans les faits, démêler le vrai du faux pourrait s’avérer kafkaïen. L’Assurance maladie, qui traque déjà les actes frauduleux et les arrêts maladies abusifs, pourrait ainsi se voir attribuer une nouvelle mission de contrôle: celle de vérifier la bonne foi des médecins (et des patients) dans le cadre d’une éventuelle «taxe lapin». Pas sûr que cette perspective enchante les agents de la Sécu…