«Nous prévoyons d’intégrer Threads au fédivers, un réseau social composé de différents serveurs exploités par des tiers». Ce message abscons affiché lorsque l’on télécharge la nouvelle application du groupe Meta, fraîchement débarquée en Europe le 14 décembre dernier, a de quoi étonner. Le «fédivers» n’est pas un fait divers, mais bel et bien un système présenté comme l’avenir des réseaux sociaux par ses créateurs.

Le principe ? Permettre aux utilisateurs d’une plateforme A, par exemple X (ex-Twitter), d’échanger avec ceux d’une plateforme B, Instagram, sans avoir à s’y inscrire. Le système n’est pas neuf. Si le fédivers a été créé en 2008, son système d’interopérabilité existe depuis la construction d’Internet : c’est ainsi que les utilisateurs d’une boîte mail Yahoo peuvent lire des messages venant de Gmail et en envoyer sur Outlook. Mais de nombreuses grandes plateformes fonctionnent aujourd’hui en vase clos.

Le fédivers ne compte pour l’instant que très peu d’acteurs du web parmi ses rangs, mis à part Tumblr, Flickr ou Mastodon, une alternative à X qui revendique 1,8 million d’utilisateurs actifs mensuels. Mais il est voué à s’étendre, notamment avec la future intégration de Threads.

Pour Meta, l’avantage à intégrer ActivityPub est simple : attirer de nouveaux utilisateurs sur sa plateforme, notamment ceux qui y seraient réticents. Depuis quelques années, le groupe, ébranlé par des controverses comme le scandale Cambridge Analytica, tente de renouveler son image. Pour ce faire, il cherche de nouveaux modèles.

Le fédivers, contractant les mots «fédération» et «univers», a retenu son attention. Il faut l’imaginer comme une galaxie de petites planètes numériques indépendantes, des «instances», qui peuvent néanmoins communiquer et interagir entre elles. L’objectif : pouvoir consulter et publier sur les plateformes concurrentes sans quitter l’interface sur lequel on est. Et cela grâce au protocole ActivityPub, langage universel des réseaux sociaux décentralisés.

Les «threadeurs» pourraient donc à l’avenir échanger avec les utilisateurs de Mastodon sans quitter l’application du groupe Meta, et vice-versa. Mark Zuckerberg a d’ailleurs annoncé au début du mois que Threads commençait à montrer des publications sur cet autre réseau. Sans toutefois permettre de poster de là-bas.

Les promesses du fédivers sont ambitieuses. Il sera aussi possible de transférer ses abonnés sans repartir de zéro si l’on ouvre un compte sur une autre plateforme, et de personnaliser son feed, sans être confronté aux algorithmes opaques et aux publicités intrusives. Ce modèle, qui se veut transparent, a été pensé pour restreindre la collecte de données personnelles, la désinformation ou la vague de haine en ligne. Il permettrait alors de décider en toute liberté de quelle plateforme utiliser.

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À l’heure des grandes réglementations du monde numérique et notamment du DSA (Digital Services Act), l’interopérabilité est au cœur des discussions. L’Union européenne espère un monde où tous les services pourront communiquer entre eux, alors même qu’ils sont encore conçus en vase clos. Les messageries seront les premières concernées. Bientôt, un utilisateur de Whatsapp pourra écrire à un ami qui n’utilise que Signal ou Telegram.

Grâce à son lien avec Instagram, qui compte plus de 2 milliards d’utilisateurs, Threads bénéficiait dès son annonce d’une base d’utilisateurs potentielle importante. La compatibilité ActivityPub serait donc aujourd’hui la cerise sur le gâteau.

Mais son intégration ne plaît pas aux autres acteurs du fédivers. Ils redoutent notamment que Meta mette en place la stratégie «Adopte, étend et extermine» (en anglais, «embrace, extend and exterminate»), qui consiste pour une entreprise à adopter un protocole technologique particulier, l’étendre avec des caractéristiques supplémentaires, puis s’efforcer de rendre le protocole d’origine obsolète afin de dominer un secteur et éteindre la concurrence.

Certaines instances s’opposent donc fermement à l’arrivée du groupe de Zuckerberg, en signant le «Fédipact», où elles s’engagent à bloquer les services de Meta de leur plateforme.

Et pour cause. Côté Meta, intégrer le fédivers est un virage à 180 degrés. Le groupe, qui a longtemps gardé opaque le fonctionnement de ses réseaux, prône désormais la transparence. Ouvrir soudainement les portes à d’autres plateformes semble d’abord improbable.

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Si au fur et à mesure que Threads grandit, l’intégration au fédivers devient un projet solide, il y a également de plus en plus de raisons pour Meta d’essayer de revenir sur ses plans de décentralisation. Dans une interview accordée au site américain The Verge, Mark Zuckerberg réitérait son projet. «Plus il y a d’interopérabilité entre les différents services et plus le contenu peut circuler, plus les réseaux sociaux peuvent être performants.»

Il semble donc que le groupe pourrait bien aller jusqu’au bout… et ouvrir la voie à d’autres, même si le fédivers n’est pas au goût du jour chez tous les géants du web. Si l’ancienne direction de Twitter (maintenant X) était favorable à l’idée d’en faire une plateforme ouverte, Elon Musk a, lui, largement rétropédalé.