C’est le dernier point de friction entre la majorité et la droite qui a failli faire dérailler la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi immigration : les aides personnalisées au logement (APL) versées aux étrangers. Destinées à aider les ménages modestes à payer le loyer de leur résidence principale, ces prestations sont aujourd’hui accessibles à tous les étrangers en situation régulière, au même titre que les Français. Mais les données manquent pour mesurer l’impact économique d’allocations conditionnées à une durée minimale de présence sur le territoire – soit ce sur quoi se sont mis d’accord la majorité et Les Républicains (LR).

Versées par la Caisse d’allocations familiales (CAF) ou la Mutualité sociale agricole (MSA), les APL bénéficiaient à 2,7 millions de foyers au total fin 2021, selon les données les plus récentes de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), le service statistique du ministère de la Santé. Et ce, pour un montant distribué de 6,7 milliards d’euros en 2021, précise la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). En ajoutant les deux autres aides au logement existantes – l’allocation de logement familiale (ALF) et l’allocation de logement sociale (ALS) -, le nombre de bénéficiaires atteint 5,7 millions, pour 15,1 milliards d’euros. Les ménages touchant une aide moyenne de 215 euros en 2021, calcule la Drees.

Si la direction administrative donne le détail des caractéristiques des allocataires de ces aides en fonction de l’âge, de la situation familiale ou du statut vis-à-vis du logement (locataire, accédant à la propriété…), nulle trace de la répartition par nationalité, entre les bénéficiaires français et ceux étrangers. Preuve de la sensibilité du sujet. Pourtant, malgré les critiques accolées aux statistiques ethniques en France, «la statistique publique produit, depuis déjà longtemps, un large spectre de données qui servent à connaître la diversité de la population, à mesurer les inégalités, parfois les discriminations, etc.», précisait l’Insee sur son blog en 2020.

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Ce manque d’informations avait notamment été déploré fin 2021 par Éric Zemmour. Alors candidat à la présidentielle, il dénonçait l’«opacité terrible des services sociaux, de la Caf, qui ne veulent pas donner les renseignements dont on a besoin pour savoir le montant» des allocations versées aux étrangers. L’actuel président du parti Reconquête ! répétait durant la campagne que sa mesure de suppression des «allocations sociales non contributives» versées aux étrangers rapporterait à la louche 20 milliards d’euros à l’État.

À l’époque, la Cnaf avait tout de même consenti à fournir quelques chiffres, plus globaux, permettant d’avoir un aperçu des prestations touchées par les étrangers en France. La caisse indiquait qu’en 2019, les étrangers représentaient 13% du montant total des prestations qu’elle avait versées, incluant les aides au logement (dont les APL), les prestations de solidarité (RSA, prime d’activité…) et celles liées à l’enfance et la famille (allocations familiales, prestation d’accueil du jeune enfant…). Soit environ 12,3 milliards d’euros sur les 94,6 milliards d’euros distribués en 2019 par les Caf. Sur le profil des bénéficiaires de ses prestations, la Cnaf précise qu’en 2019, 10% des foyers allocataires étaient des ressortissants étrangers, sur un total de 13,5 millions de foyers allocataires. Soit donc environ 1,3 million. Mais impossible de connaître la part précise des APL et leurs bénéficiaires.

Créée en 1977, cette aide au logement est attribuée aux Français et aux étrangers, mais ces derniers doivent obligatoirement être en situation régulière, ce qui veut dire posséder un titre ou document qui lui permet de résider sur le territoire français (carte de séjour, carte de résident…). «Plus le titre de séjour est précaire, pour une durée courte, moins les personnes ont accès aux prestations sociales. Or il y a tendance à donner aux étrangers des documents de plus en plus précaires», souligne Lola Isidro, maîtresse de conférences en droit à l’université Paris Nanterre. Pour les Français comme pour les ressortissants étrangers, les APL sont attribuées sous conditions de ressources. Son montant dépend notamment des revenus, du nombre de personnes à charge, du lieu de résidence, ainsi que du montant du loyer.