Patricia Barbizet est depuis juillet la présidente de l’Afep, association regroupant les 117 plus grandes entreprises privées françaises.

LE FIGARO. – La croissance faiblit, le chômage remonte, les risques géopolitiques sont élevés… Dans ce contexte, comment les grandes entreprises abordent-elles 2024 ?

Patricia BARBIZET. – D’un côté, le ralentissement de l’inflation est une bonne nouvelle pour le pouvoir d’achat des Français. De l’autre, un ralentissement de l’activité dont on constate les signes sur la consommation et l’emploi. Et les taux d’intérêt restent élevés. Face à ces turbulences, les grandes entreprises françaises restent très attentives et prudentes. Il faut traiter ces difficultés conjoncturelles mais cela ne doit pas nous détourner de notre priorité absolue : construire le monde de demain et faire en sorte que la France et l’Europe y jouent un rôle majeur.

Nous avons en face de nous d’immenses défis : ruptures technologiques et numériques, transition énergétique et environnementale, transition démographique. Cela exige un effort massif d’investissement et de financement des entreprises. Pour relever ces défis, il faut garder le cap sur les réformes et surtout ne pas ralentir.

Emmanuel Macron a exhorté les chefs d’entreprise : « Réveillez-vous ! ». En fait, vous lui demandez de ne pas s’endormir sur les réformes. Qu’attendez-vous de lui précisément ?

La poursuite de la politique de l’offre. Continuer à desserrer les freins pour accélérer. Supprimer les blocages restants sur le marché du travail. Renforcer les coopérations public-privé et soutenir structurellement l’innovation et l’investissement. La transition énergétique va requérir des investissements très importants, il faut associer les moyens publics et privés pour les financer. Le crédit d’impôt recherche est le parfait exemple d’une mesure efficace pour la recherche et l’innovation françaises. Ainsi en moyenne, les grandes entreprises de l’Afep concentrent 45% de leurs activités de recherche en France, alors qu’elles y réalisent le quart de leur chiffre d’affaires.

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Quelle est la marge de manœuvre de l’État, qui supporte 3000 milliards de dette et vient d’échapper à une dégradation de sa note ?

On peut déjà se réjouir que la note de la France ait été maintenue. Cette décision est surtout un encouragement à la modernisation de l’État. On doit le prendre comme une marque de confiance dans la capacité de la France à se transformer. Mais cette modernisation de l’État ne peut, en aucun cas, passer par une augmentation des impôts dans un pays qui supporte déjà un taux de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde. La clé, c’est la compétitivité des entreprises. C’est le moteur de la croissance et donc de la création d’emplois. C’est nécessaire à la réduction du déficit public.

Le taux d’impôt sur les sociétés est passé de 33% à 25%. Qu’est-ce qui freine encore la compétitivité des entreprises françaises ?

Des charges trop élevées ont conduit à la désindustrialisation de la France. On peut donc simplement parler de rattrapage. Cette normalisation de la fiscalité a porté ses fruits en permettant d’accroître la compétitivité de nos entreprises et de favoriser l’investissement en France. Les baisses de charges et les réformes du marché du travail ont stimulé la création de 2 millions d’emplois privés depuis 2017, et pour la première fois depuis longtemps, de plus de 100.000 emplois industriels.

Il ne faut pas s’arrêter en chemin. Il est essentiel de poursuivre la politique de l’offre, de continuer à baisser les impôts de production pour dynamiser le « made in France ». L’objectif reste de développer la croissance et l’emploi. Pour cela, il faut être constant et cohérent dans les mesures prises. Les réformes ne portent leurs fruits que dans le temps. La constance crée la confiance. Et la confiance, la croissance.

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Le chômage remonte alors que 350.000 emplois restent vacants. Faut-il durcir les règles d’indemnisation du chômage ?

Les entreprises de l’Afep représentent 12% de l’emploi privé et 17% de la masse salariale, grâce à des salaires supérieurs à la moyenne. Or nous avons toujours 350.000 postes vacants, notamment dans l’industrie où nous cherchons des soudeurs, des chaudronniers… Pour résoudre ces tensions, la priorité, ce sont les compétences. C’est l’apprentissage qui permet de développer la formation à tous les niveaux de qualification. Cela crée un formidable ascenseur social dans nos entreprises.

C’est aussi la réforme des lycées professionnels qui constitue un enjeu autant économique que social et c’est une grande cause pour laquelle les grandes entreprises se mobilisent pleinement. Nous n’atteindrons pas le plein-emploi sans mettre un accent particulier sur la formation, y compris la formation professionnelle en cours de carrière.

Comment les Français pourront-ils travailler jusqu’à 64 ans si les entreprises se débarrassent de leurs seniors, comme le leur reproche Bruno Le Maire ?

Ce reproche est inexact. Aujourd’hui le taux de chômage des seniors (5,1%) est inférieur à celui de l’ensemble des actifs (7,4%). Cela signifie que les entreprises sont au rendez-vous. Le taux d’emploi des seniors est passé de 54% à 67% depuis 2009. Les entreprises, en particulier les grandes, ont multiplié les efforts pour les accompagner et faciliter la transmission des savoirs. Se priver de leurs compétences et de leur expérience serait un vrai gâchis. Apprendre à mieux valoriser l’ensemble des talents est une exigence d’intégration et de solidarité.

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L’Allemagne, longtemps érigée en modèle, se grippe. Est-ce une menace pour la France ?

Les difficultés de l’Allemagne ne sont pas une bonne nouvelle : c’est notre premier partenaire économique et un moteur essentiel de l’économie européenne. Nos destins sont liés. L’Allemagne fait face à plusieurs défis structurels : la réorganisation du commerce international ; les ruptures technologiques et en particulier de l’automobile. Elle cherche aussi des réponses à sa dépendance énergétique et à la transition environnementale.

Cela dit, ces défis sont mondiaux et se posent aussi à tous les pays d’Europe. Car les Américains et les Chinois ne nous ont pas attendus et ont déjà apporté des réponses très fortes. La Chine s’électrifie et se transforme à marche forcée, et les États-Unis, qui disposent d’une énergie deux à trois fois moins chère qu’en Europe, ont apporté une réponse massive avec l’IRA pour attirer des investissements industriels et ont l’avantage. Si on veut éviter le décrochage face aux États-Unis et la Chine, l’Europe doit trouver une réponse collective.