À moins de quarante jours des élections européennes (du 6 au 9 juin 2024), Facebook et Meta écopent d’un bonnet d’âne. Bruxelles ouvre une enquête contre leur maison-mère, Meta, numéro un mondial des réseaux sociaux, pour violation du règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act ou DSA).
Facebook et Instagram sont soupçonnés de ne pas respecter leurs obligations en matière de lutte contre la désinformation. « Cette Commission a créé des moyens pour protéger les citoyens européens de la désinformation et de la manipulation par des États étrangers, a réagi Ursula Von Der Leyen, la présidente de la Commission européenne. Si nous suspectons une violation des règles, nous agissons. C’est vrai de façon générale mais en particulier en période d’élections. Les grandes plateformes numériques doivent respecter leurs obligations en mettant en place suffisamment de ressources dans ce but et la décision d’aujourd’hui montre que nous ne prenons pas ces obligations à la légère ».
Le groupe américain a désormais cinq jours pour répondre. Bruxelles souligne « l’urgence » de la situation à cinq semaines du scrutin européen et invite Meta à « réagir très vite ». « L’ouverture d’une enquête pour entorse au DSA est un risque grave qui peut conduire à une amende équivalant à 6% du chiffre d’affaires », rappelle un représentant de la Commission.
C’est la cinquième enquête formelle ouverte par Bruxelles depuis l’entrée en vigueur l’an passé du DSA, destiné à lutter contre les contenus illégaux en ligne. La semaine dernière, la Commission a imposé à TikTok – au nom du respect de ce texte – de suspendre dans l’UE la fonctionnalité de sa nouvelle application TikTok Lite qui récompense les utilisateurs pour le temps passé devant les écrans. Une procédure avait été lancée début mars contre le géant chinois du commerce en ligne AliExpress, filiale d’Alibaba, soupçonné de ne pas suffisamment lutter contre la vente de produits dangereux. La Commission a également ouvert en décembre une enquête visant le réseau social X pour des manquements présumés aux obligations de modération des contenus.
Cette fois-ci, Bruxelles a retenu contre Meta quatre griefs dans la perspective des élections européennes. Le premier concerne une modération « insuffisante » des publicités par le groupe californien. La Commission épingle la diffusion d’un grand nombre d’annonces « qui présentent un risque pour les processus électoraux », évoquant des « campagnes publicitaires liées à une manipulation d’information de l’étranger », dont certaines utilisent de l’intelligence artificielle. La Russie est officiellement désignée. « On parle de publicités exploitées par une manipulation russe. Il n’est pas juste de gagner de l’argent sur le dos de cette manipulation », a commenté un officiel européen.
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Bruxelles critique aussi le fait que Meta diminue la visibilité de contenus politiques dans les systèmes de recommandations d’Instagram et Facebook, une pratique contraire aux obligations de transparence du DSA. La Commission soupçonne par ailleurs le mécanisme mis en place par Meta pour permettre aux utilisateurs de signaler des contenus illégaux de ne pas respecter la réglementation. Il ne serait pas suffisamment facile d’accès et d’utilisation, « caché dans la barre de menu ».
Enfin, Bruxelles reproche à Meta son projet de supprimer un outil considéré comme essentiel pour repérer et analyser la désinformation sur Facebook et Instagram (« CrowdTangle» ), sans solution adéquate de remplacement. De nombreux chercheurs et journalistes l’utilisent, en effet, pour suivre en temps réel la propagation de théories du complot, d’incitations à la violence ou de campagnes de manipulation pilotées de l’étranger.
En coulisses, la Commission européenne cite notamment l’ONG AI Forensics qui vient de publier un rapport sur la modération des contenus politiques par Meta en amont des élections européennes et qui avait sommé Bruxelles d’agir. Dans ce rapport, l’ONG accusait le groupe américain de laisser la propagande pro-russe envahir l’Europe à cause des failles de son système de modération. Au total, l’organisation a identifié 30 millions de publicités politiques diffusées dans 16 pays d’Europe, dont 66 % ne sont pas identifiées comme telles. Et moins de 5 % de celles-ci sont repérées par Meta.
Face à l’ampleur des menaces, le DSA est-il un outil suffisamment puissant ? « L’objectif du DSA n’est pas d’empêcher des acteurs mal intentionnés de diffuser de fausses informations, a répondu un officiel de la Commission. Ce n’est pas réaliste. L’enjeu est de s’assurer de la mise en place de dispositifs qui permettent de réagir vite afin de protéger notre démocratie ». L’ouverture de cette enquête « montre que l’UE monte en puissance pour gérer cette crise de l’information, a réagi Marc Faddoul, directeur de l’ONG AI Forensics. À la veille des élections européennes, c’est le premier vrai test de l’efficacité du DSA, en particulier contre les opérations de manipulation étrangère ».
Pour enfoncer le clou, la Commission européenne a également dévoilé ce mardi deux outils de lancement d’alerte : un dans le cadre du DSA et l’autre dans le cadre de la loi sur les marchés numériques (DMA). Ces outils permettront aux parties intéressées de fournir, sans crainte de représailles, des informations permettant d’identifier et de mettre au jour les pratiques préjudiciables des très grandes plateformes en ligne ou des moteurs de recherche.
Interrogé par l’AFP, Meta n’a pas directement commenté l’ouverture d’une enquête. « Nous disposons d’un processus bien établi pour identifier et atténuer les risques sur nos plateformes. Nous sommes impatients de poursuivre notre coopération avec la Commission européenne et de leur fournir de plus amples détails sur ce travail », a réagi un porte-parole du groupe californien. « Nous ne disons pas que Meta ne fait rien face à ces menaces mais qu’il y a des manquements pour préserver l’intégrité de ces élections », a nuancé de son côté un officiel européen qui évoque un échange « constructif » avec Meta.