Oubliée l’année 2022, ses craintes de coupure d’électricité faute de capacité de productions suffisantes ? Pas complètement. Si le bilan tiré par le gestionnaire du réseau d’électricité (RTE) est positif pour 2023, cela ne signifie pas que tous les risques sont derrière nous. La sécurité d’approvisionnement semble bel et bien revenue, mais les prix eux, restent à des niveaux bien supérieurs à ceux de la décennie précédente et pourraient encore connaître de fortes variations. « La structure du système électrique n’est plus la même qu’en 2010 », résume Thomas Veyrenc, directeur général en charge de l’économie et de la prospective chez RTE. Le spectre d’un Ecowatt rouge s’est éloigné, mais il n’a pas disparu ad vitam aeternam.
Dans le détail, la consommation d’électricité a baissé de 6,9% en 2023 par rapport à la moyenne des 2012-2019, et ce en données corrigées de la météo, pour s’établir à 445 térawattheures (TWh). « En consommation brute, le chiffre est encore plus bas avec une consommation de 438,3 TWh, notamment parce que 2023 a été la deuxième année la plus chaude jamais enregistrée », ajoute Maïté Jauréguy-Naudin, directrice Statistiques et Données RTE. Pour mémoire, la consommation en données corrigées était de 465 TWh en 2021 et 480 TWh en moyenne dans les années 2010. «Le recul est pour partie imputable à la hausse des prix de l’électricité, notamment dans l’industrie où l’effet de la conjoncture économique est très marqué, ajoute Thomas Veyrenc. Mais une partie des diminutions réalisées est désormais largement ancrée dans les habitudes ».
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D’un autre côté, la production d’électricité en France a augmenté de 11% entre 2022 et 2023, pour atteindre 494,3 TWh l’année dernière. Tous les clignotants sont repassés au vert et l’amélioration ne se limite pas au nucléaire. Dans le détail, la production d’électricité nucléaire est passée de 279 TWh en 2022 à 320,4 TWh en 2023. Un net mieux, mais un niveau qui reste inférieur à celui de 2020, avant le début des difficultés industrielles d’EDF liées à la corrosion sous contraintes. « La production nucléaire a engagé son redressement, mais elle demeure encore loin que ses niveaux historiques. Il faut remonter à 1992 – hors 2022 – quand le parc n’était pas encore en pleine puissance pour retrouver un tel niveau », illustre Thomas Veyrenc.
La production d’électricité hydraulique est, elle aussi, nettement remontée, un point clé. 2022 avait été la plus mauvaise année depuis 1976, réputée pour la sécheresse qu’avait alors connue le pays. L’année dernière, les barrages ont fourni 18% de plus sur douze mois, soit 58,8 TWh. « Il y a à la fois eu davantage de précipitations, surtout à partir avril, et une gestion prudente des stocks hydrauliques », explique Maïté Jauréguy-Naudin. « Un des résultats les plus marquants est l’envolée de la production éolienne, à 50,7 TWh contre 38,6 TWh un an plus tôt, ajoute Thomas Veyrenc. Le niveau de production éolienne se rapproche de celui de l’hydraulique. Comme le parc va continuer à se développer, nous ne sommes pas loin du moment où cela va venir la deuxième source de production d’électricité en France ». Toutefois, la production d’électricité éolienne reste soumise au vent. Les effets aléatoires de la météo sont en partie compensés par le développement des parcs éoliens et solaires. Enfin, la production d’électricité solaire est passée de 18,6 TWh à 21,5 TWh.
La part des énergies fossiles baisse donc mécaniquement. Le gaz est revenu au volume des années avant crise énergétique, soit 30 TWh. Quant au charbon, très médiatisé, il ne représente plus qu’1,6 millième de la production d’électricité française, soit 0,8 TWh. « Il y a quelques années quand une centrale à charbon fonctionnait 3000 à 4000 heures par an, c’était normal. Maintenant, quand une démarre il y a une alerte presse ! sourit Thomas Veyrenc. Pourtant, la sortie du charbon est quasiment effective : il ne reste que deux centrales en France».
Conséquence de cette amélioration de la production et de la baisse de la consommation, la France est redevenue exportatrice d’électricité, avec 50,1 TWh vendus. Le pays revient à ses niveaux de la précédente décennie mais loin de son record absolu à 77 TWh exportés en 2002. Avec davantage de nucléaire et de renouvelables, les émissions de CO2 nécessaires à la production d’électricité ont chuté de 32% sur un an, pour s’établir à 23,6 millions de tonnes de CO2. Autrement dit, un kWh d’électricité produite en France émet 32 g de CO2 en moyenne, c’est dix fois moins qu’en Allemagne.
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En 2022, trois crises se sont superposées en Europe : la faible production du nucléaire français, une sécheresse en Europe du sud qui a tiré l’hydraulique à la baisse, et augmentation mondiale des prix du gaz. «Face à ces trois crises non corrélées qui sont arrivées en même temps, le système a fait preuve de résilience, même si les prix ont augmenté. Et nous sommes sortis de la crise plus vite que ce qu’on pouvait imaginer», souligne Thomas Veyrenc.
Depuis lors, les prix ont baissé, sur le marché de gros ; mais ils restent très volatils. Il suffirait de peu pour qu’il reparte à la hausse, comme une nouvelle augmentation des prix du gaz. Enfin, la baisse de la consommation d’électricité ne pourrait être que provisoire. Dans un scénario de transition énergétique, elle va augmenter pour venir se substituer à celle liée aux énergies fossiles qui représentent 60% de notre consommation globale. RTE mise sur une hausse qui pourrait s’enclencher entre 2025 et 2030, en fonction des scénarios retenus.