La zone euro est entrée en récession cet hiver, pénalisée par le recul de la consommation sous l’effet des hausses de prix et par les difficultés de l’industrie allemande, selon des données publiées jeudi par Eurostat. Le PIB des 20 pays partageant la monnaie unique a reculé de 0,1% entre janvier et mars, après une baisse de même ampleur d’octobre à décembre, des chiffres nettement révisés à la baisse par rapport aux précédentes estimations.
L’institut européen des statistiques faisait état jusqu’ici d’une croissance de 0,1% au premier trimestre après une stagnation (0%) en fin d’année dernière. La révision à la baisse s’explique en grande partie par l’abaissement récent des chiffres de l’Allemagne. La première économie européenne a annoncé fin mai être entrée en récession, en raison d’une baisse d’activité de ses entreprises industrielles.
Les nouveaux chiffres assombrissent les perspectives de la zone pour l’ensemble de l’année. La Commission européenne tablait mi-mai sur une croissance de 1,1% en 2023. Le chiffre semble désormais «optimiste», estime auprès de l’AFP Charlotte de Montpellier, économiste pour la banque ING. Elle prévoit seulement 0,5% sur l’année complète. «Depuis le printemps, toutes les données ont été mauvaises», souligne-t-elle, pointant notamment la production industrielle allemande et les nouvelles commandes. Selon elle, «l’économie européenne est dans une phase de stagnation et a eu du mal à passer l’hiver à cause du choc énergétique».
Même si les cours du gaz et du pétrole ont chuté ces derniers mois, la flambée des prix de l’an dernier a eu un impact important sur la confiance des ménages. L’inflation reste élevée, à 6,1% en mai, malgré un recul, et les hausses de prix touchent désormais les produits alimentaires, les biens manufacturés et les services. Les dépenses de consommation des ménages ont diminué de 0,3% au premier trimestre, après avoir déjà baissé de 1% sur les trois mois précédents, a détaillé Eurostat jeudi.
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L’économie européenne est également affectée par la hausse des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne (BCE), qui réduit la demande de crédit et freine les investissements notamment dans l’immobilier, entraînant une baisse d’activité dans la construction. Le ralentissement constaté aux États-Unis et la reprise moins forte que prévu en Chine pèsent par ailleurs sur les exportations.
«Nous pensons que l’économie se contractera encore pendant le reste de l’année», a commenté Andrew Kenningham, expert de Capital Economics, qui pointe «les effets du resserrement de la politique monétaire» de la BCE, contrainte de batailler contre l’inflation. «Malheureusement il n’y a pas tellement d’éléments qui peuvent laisser espérer un rebond sur les prochains mois», estime aussi Charlotte de Montpellier.
L’industrie allemande et européenne a été «déstabilisée» par une série de chocs: problèmes des chaînes d’approvisionnement, flambée de l’énergie, ralentissement mondial. Mais ses difficultés sont aussi structurelles. Elle souffre de ne plus avoir accès au gaz russe, les livraisons ayant été interrompues dans le contexte de la guerre en Ukraine. Elle pâtit aussi de sa dépendance aux fournisseurs chinois dans les énergies renouvelables, en plein boom. Dans l’automobile, les constructeurs chinois profitent de l’électrification pour doubler leurs concurrents allemands.
L’Allemagne a vu son PIB reculer de 0,5% au dernier trimestre 2022, puis de 0,3% de janvier à mars. Elle se retrouve avec «une activité actuellement inférieure à son niveau prépandémie en 2019, alors que les autres pays (de la zone euro) sont bien mieux placés. L’ancienne étoile de l’économie européenne ne brille plus», souligne Mme de Montpellier.
À l’inverse, l’Espagne et l’Italie ont progressé de respectivement 0,5 et 0,6% au premier trimestre, les pays du sud de l’Europe, moins industrialisés, profitant pleinement de la hausse du tourisme après la fin des restrictions qui ont paralysé le secteur pendant la crise sanitaire. De son côté, la France a maintenu une croissance modérée (0,2%) au premier trimestre.