Alexandre Saubot est directeur général du groupe Haulotte (fabricant de nacelles élévatrices) et président de France Industrie.
Le FIGARO. – Que va changer la réforme des lycées professionnels pour les entreprises ?
Alexandre SAUBOT. – Elle est indispensable pour notre secteur. Derrière la réussite de la formation professionnelle se cache notre capacité à nous, industriels, à trouver les compétences pour répondre au formidable défi de recrutement que doit relever notre secteur. On estime à plus de 1 million le nombre de personnes à recruter dans l’industrie dans les dix ans à venir. Une nécessité si l’on veut relever les défis de la réindustrialisation, la décarbonation et l’électrification.
Pour y parvenir, nous avons besoin des lycées professionnels. Avant d’être un sujet pour les entreprises en général et l’industrie en particulier, cette réforme est d’abord vitale pour notre pays. Envoyer un tiers des lycéens dans un cursus où le taux d’insertion dans l’emploi en sortie d’études est inférieur à 50% est devenu un problème pour la France. Cela explique largement le faible taux d’emploi des jeunes, et renvoie à l’idée que les filières professionnelles sont des filières de l’échec. Il faut agir avec détermination pour que cela change.
La question de l’attractivité est donc au cœur de cette réforme…
Oui, et c’est l’un de nos plus gros sujets. Il faut redonner ses lettres de noblesse à la formation professionnelle, vue aujourd’hui comme un second choix. En même temps, les statistiques montrent que les difficultés des élèves en lycée professionnel dans les matières de base sont beaucoup plus prégnantes que dans les filières générale et technologique. 40% des élèves de lycée professionnel ont une maîtrise fragile du français en seconde, contre 6% en lycée général et technologique. En mathématiques, 70% des élèves de lycée professionnel ont des lacunes, contre 20 % en général et technologique.
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Qu’attendez-vous concrètement de cette réforme ?
La réforme doit permettre d’élargir le nombre de personnes bien formées qui pourront venir travailler dans nos entreprises, alors qu’aujourd’hui moins de 50 % des cursus forment aux métiers de l’industrie. Derrière le sujet du contenu et de la qualité des cursus, il y a celui de l’outil et du niveau des plateaux techniques nécessaires à la formation des jeunes aux spécialités de l’industrie. Si nous avons réussi à les mettre à niveau dans nos centres de formation des apprentis (CFA) à force d’investissements, les lycées professionnels ont plus de mal.
Nous nous réjouissons donc qu’une ligne du plan France 2030, autour de 1 milliard d’euros, soit fléchée vers les investissements des lycées professionnels. Cet argent servira à mettre à niveau les plateaux : une aide précieuse pour mieux préparer l’avenir de ces élèves. Cette réforme vise à faire en sorte que le cursus soit adapté aux jeunes, à la fois en contenus et en débouchés, pour faire remonter le taux d’emploi à la sortie. Cela incitera davantage les parents – qui veulent que leurs enfants trouvent un chemin qui leur plaît mais également qui assure leur avenir -, à les guider dans cette voie. Mais pour remonter le taux d’emploi à la sortie des lycées professionnels, il est aussi essentiel que l’on implique davantage le monde économique.
Comment la filière industrielle compte-t-elle prendre sa part ?
Il est capital que le secteur industriel mais également tout le monde économique soient consultés. Car tant que le contenu des formations n’est pas discuté avec les entreprises, et adapté à leurs besoins, on ne fera pas remonter le taux d’emploi en sortie de lycée professionnel. Nous soutenons l’initiative de la refonte de la carte des formations, qui veut réaffecter d’ici à trois ou quatre ans un quart des cursus. Il faudra le faire en collaboration avec les entreprises pour identifier les filières qui ne débouchent sur rien et celles qui offrent des emplois, et réallouer les ressources en fonction notamment des bassins d’emploi.
Ces changements devront se confronter à leur acceptabilité sociale, aux problématiques d’ouvertures de classes, d’attractivité des filières pour les jeunes, et à la mobilisation du monde de l’entreprise qui doit répondre présent partout où l’on a besoin de lui pour que les choses bougent. Nous sommes prêts, avec France Industrie et nos branches professionnelles, à nous engager aux côtés des pouvoirs publics – avec les préfets, les recteurs et les régions -, pour que la réforme réussisse, en ne délaissant aucun secteur. Cela passera par un lien permanent avec les bureaux des entreprises, créés dans chaque lycée professionnel, pour développer les échanges entre professeurs et monde de l’entreprise. Certaines branches ont d’ailleurs déjà désigné leurs correspondants, conscientes que c’est uniquement en créant des liens et en identifiant précisément les besoins que l’on y arrivera.