Une taxe qui n’est «pas équitable pour les consommateurs» car peu rentable : la Cour des comptes a critiqué vendredi la «contribution» mise en œuvre par le gouvernement pour tenter de capter la «rente» des producteurs d’électricité. C’était l’argument choc du gouvernement, accusé en 2022 de ne pas en faire assez pour lutter contre les «superprofits» des entreprises ayant bénéficié de la flambée des prix de l’énergie après l’invasion russe de l’Ukraine. Mais la «contribution sur la rente inframarginale» des producteurs d’électricité ne génère pas de recettes «à la hauteur de ce qui serait équitable pour les consommateurs», selon les magistrats financiers.

«Dans un dispositif de régulation efficace», les marges accumulées par les énergéticiens «seraient restituées aux consommateurs», estime la Cour dans un rapport publié vendredi consacré aux mesures de soutien déployées par l’État durant la récente crise énergétique. Mais le rendement de la CRI et de la hausse des redevances des concessions hydroélectriques ne devrait «pas excéder six milliards d’euros au titre des années 2022 et 2023», selon la Cour. Un chiffre à mettre en rapport avec les «plus de 30 milliards d’euros de marges bénéficiaires nettes» (avant impôt sur les sociétés) enregistrées en 2022 et 2023 par les négociants, producteurs et fournisseurs d’électricité ou avec la facture de 36 milliards d’euros nets que l’État doit acquitter entre 2021 et 2024 au titre des multiples dispositifs de soutien aux consommateurs d’énergie : bouclier tarifaire, indemnité carburant, etc.

«A défaut de capter l’essentiel des marges bénéficiaires prévisibles pour financer son soutien aux consommateurs, l’État cherche à limiter le coût budgétaire net du bouclier en augmentant les prix payés par le consommateur», conclut la Cour des comptes. Le «champ» et le «paramétrage» de cette contribution «en limitent fortement le rendement» et empêchent «d’assurer à tous les clients français des prix de l’électricité cohérents avec les coûts complets de production du parc en service», avertit l’organisme de contrôle. Celle-ci «estime au total que la facture globalement acquittée par les clients finals et les contribuables pour l’approvisionnement en électricité excédera ainsi de 37 milliards d’euros les coûts de production nationaux sur 2022-2023».

À lire aussiBercy étudie bien une alternative à la taxe sur les superprofits

Dans ses recommandations, l’institution suggère au ministère de la Transition écologique et à Bercy de «proposer au Parlement de faire évoluer le champ et les modalités de calcul de la CRI au titre de 2024, afin d’en augmenter le rendement». Les deux ministères sont aussi invités à «paramétrer le bouclier tarifaire» sur l’électricité «de sorte que les prix payés par les consommateurs reflètent au mieux les coûts actuels de production». Le gouvernement n’a pour l’heure pas réagi aux critiques de la Cour des comptes.

Si les mesures exceptionnelles déployées par l’État pour protéger ménages et entreprises de l’envolée des prix de l’énergie étaient justifiées, reconnaît la Cour, celles-ci ont été «foisonnantes» et leur mise en œuvre «complexe». Boucliers, chèque fioul, chèque bois, amortisseur électricité: l’institution recense «près de 25 dispositifs» de soutien différents. Quatre-vingt-dix pour cent des aides aux ménages ont été «non ciblées en fonction des revenus ou des capacités d’absorption de ce choc par les bénéficiaires», constate la Cour. Une caractéristique «assurément critiquable» pour les soutiens publics à la consommation de gaz et de carburants fossiles, «au regard des objectifs de décarbonation» de la France.

La Cour des comptes relève enfin que les principaux dispositifs d’aide ont été mis en oeuvre via les fournisseurs d’énergie ou les distributeurs de carburant, ce qui pose question sur «la complète répercussion des soutiens publics aux clients». Face aux risques d’«effets d’aubaine», elle invite les autorités du secteur comme la Commission de régulation de l’énergie (Cre) à renforcer leurs contrôles. En septembre 2023, la présidente de la Cre Emmanuelle Wargon avait épinglé publiquement trois fournisseurs d’énergie (Elmy Fourniture, Mint Energy et Sagiterre), soupçonnés de ne pas répercuter à leurs clients des ristournes octroyées par leur fournisseur EDF.