De notre correspondant en Asie,
Les brassards rouges sont de retour à Pékin, à l’orée de la grand-messe politique annuelle de la Chine communiste. Comme chaque début mars, les «volontaires» des comités de quartier épaulent les forces anti-émeutes pour quadriller la capitale aux abords du grand Hall du Peuple où s’est ouvert ce matin l’Assemblée nationale Populaire (ANP), la chambre d’enregistrement du régime, sur fond de marasme économique et horizon géopolitique plombé.
Au diapason, le premier ministre Li Qiang a dégainé la carte de la stabilité en prévoyant une croissance «d’environ 5%» en 2024, sous le regard de sphinx du président Xi Jinping, timonier d’un géant scruté par les investisseurs. «Nous allons poursuivre le progrès et garantir la stabilité» a promis le numéro 2, en dévoilant cette cible attendue, en ligne avec la performance affichée l’an dernier (5,2%), sans promettre de plan de relance massif, avec pour priorité la montée en gamme de son industrie, et secteur technologique relevant le défi occidental. Un objectif parmi les plus faibles depuis les années 90, hors pandémie, mais jugé ambitieux par les économistes, sur fond de morosité de la demande mondiale et intérieure.
La Chine va également continuer à muscler sa défense, avec une hausse de 7,2% de son budget militaire, au même rythme qu’en 2023, en pleine purge au sein du haut commandement de sa force nucléaire. Un chiffre supérieur à la croissance du PIB, dans un contexte de rivalité au long cours avec les États-Unis, avec Taïwan en ligne de mire. Le régime s’oppose «vigoureusement» aux «activités séparatistes» et aux «ingérences extérieures» a prévenu Li, dans la foulée de l’élection en janvier à Taïpei de Lai Ching Te, champion de l’identité démocratique de l’île. Pékin dépensera 231 milliards de dollars, pour sa défense cette année, le second plus gros budget mondial, écrasant celui de ses voisins Asiatiques, mais qui reste trois fois moins élevé que celui du Pentagone.
Le rituel des « deux sessions » du Parlement chinois est particulièrement scruté cette année, alors que les doutes s’accumulent sur la santé de la deuxième économie mondiale, plombée par la crise immobilière, une consommation intérieure en berne et la fuite des capitaux. «Ils font face à la fois à des difficultés intérieures et extérieures», juge Chen Daoyin, ancien professeur à l’Université des Sciences politiques de Shanghai. En 2023, les investissements étrangers en Chine sont tombés au plus bas depuis 1993, témoignant de la défiance grandissante de Wall Street, face au virage étatiste imprimé par le dirigeant le plus centralisateur depuis Mao. «L’enjeu est de rétablir de la confiance dans le système, sa capacité à produire de la stabilité politique, mais aussi des résultats économiques», juge Mathieu Duchatel, Directeur Asie à l’Institut Montaigne.
Li n’a pas caché l’ampleur de la tâche, devant les trois mille «délégués» rassemblés sous les ors staliniens de l’immense salle couronnée d’une étoile rouge. «Les fondements de la reprise ne sont toujours pas solides, du fait d’une demande insuffisante, de surcapacités dans certaines industries, de faibles attentes sociétales, et de multiples risques persistants», a reconnu ce fidèle du Secrétaire général. Les bourses chinoises ont ouvert dans le rouge, dans la foulée du discours, signalant la méfiance des marchés. Gangrené par la déflation, Pékin vise une volontariste hausse des prix de 3%, et un taux de chômage de 5,5%, alors qu’il a atteint 20% chez les jeunes, au point de décider les autorités à suspendre la publication de cette statistique en août dernier.
Si le deuxième pays le plus peuplé du monde est toujours en croissance, élargissant encore la base de ses classes moyennes, l’objectif de 5% de croissance s’annonce plus compliqué à atteindre cette année, jugent les économistes. «Ce sera dur, mais ils y arriveront en jouant avec les chiffres», juge Alicia Garcia Herrero, cheffe économiste Asie, chez Natixis. La Chine a peiné à tenir sa promesse l’an passé, alors qu’elle bénéficiait d’un effet de base statistique favorable en 2022, marqué par le confinement de Shanghai. Cette année, la pente sera plus raide et les signaux du premier trimestre sont contrastés, marqué par une contraction de l’index PMI manufacturier, mais un secteur des services dynamique.
Ces enjeux sonnants et trébuchants ont de lourdes implications politiques pour Xi, confronté à des vents contraires croissant dans son troisième mandat, érodant le pacte faustien établi entre le Parti et les élites économiques, toujours plus nombreuses à placer leurs fortunes à l’étranger, à Singapour, Tokyo ou Dubaï. Ce «Prince rouge» obsédé par le contrôle doit rassurer des classes moyennes frappées de plein fouet par la crise de la pierre et de la Bourse, et habituées à voir leurs revenus gonfler inexorablement depuis le décollage de l’Usine du Monde, au tournant du siècle. « Xi Jinping et le Parti sont sous pression, et réalisent qu’ils doivent répondre au mécontentement intérieur afin de s’assurer le soutien continu de la population», juge Lee Dong Gyu, sinologue au Asan Institute, à Séoul.
La séquence rituelle des «Deux Sessions», chorégraphiée au millimètre par les stratèges rouges, qui se déroulera jusqu’à lundi, offre une scène de théâtre truffée de figurants, chargés de projeter Xi vers un quatrième mandat. Les analystes guetteront les indices ténus d’éventuelles discordances, alors que le dirigeant a mis à bas le «leadership collectif» de ses prédécesseurs, et poursuit la reprise en main idéologique de la société, relançant même les «milices» de l’ère maoïste. Ils scruteront ses interactions avec les hauts gradés dans l’immense paquebot de pierre du grand hall du Peuple, alors qu’une purge sans merci a fait tomber le ministre de la Défense à l’automne. Avec pour suspense l’éventuelle nomination d’un nouveau ministre des Affaires étrangères pour remplacer Qin Gang, limogé abruptement à l’été, et suppléé depuis par le madré Wang Yi, plus haut responsable diplomatique du Parti.
Tous les signaux indiquent une poursuite du cavalier seul de Xi, comme l’illustre la suppression de la conférence de presse finale du premier ministre, une première depuis trois décennies. En privant son numéro 2 d’une rare tribune sous les projecteurs, le président confirme que le Parti, et son Secrétaire général sont le seul maître à bord du vaisseau Chine, quelles que soient les tempêtes à venir.