«J’ai tout arrêté pendant huit mois pour me consacrer à mon terrain et me défaire un peu des algorithmes, s’amuse le youtubeur Jigmé Théaux, surtout celui de YouTube l’équivalent du dieu algorithmique». À l’été 2020, ce Périgourdin d’origine a acheté une métairie avec sa compagne. Objectif pour le trentenaire : «devenir presque autonome en produisant mes propres fruits et légumes». Une nouvelle vie dont il partage les coulisses sur son compte TikTok et Instagram dans des vidéos courtes. «Je montre les récoltes, mes avancées sur le terrain ou des recettes de cuisine», décrit-il. Un quotidien fait de nature et de montage vidéo dans ce coin isolé de la Dordogne. Bien loin de l’époque où le jeune homme s’adonnait à l’humour sur YouTube pour satisfaire ses 2 millions d’abonnés.

Sa chaîne, du nom des «clichés de Jigmé», lui a permis pendant presque une décennie de diffuser ses sketchs. En 2012, Jigmé est étudiant en LEA anglais chinois à Bordeaux. Il pratique la photo, dont il diffuse les meilleurs clichés sur son compte Facebook. «Mais Instagram était en train d’émerger et de rendre la photo accessible à tous, j’ai voulu développer d’autres compétences». En autodidacte aiguisé, l’étudiant se lance dans la vidéo. «Je devais même partir tourner un documentaire avec ma meilleure amie au Bhoutan», explique-t-il. Entre-temps toutefois, Jigmé se voit proposer un CDI à l’Apple Store de Bordeaux, qu’il accepte. Envolé donc le voyage lointain mais la passion pour la vidéo reste. «À ce moment-là, je vois en YouTube la possibilité de me constituer une bibliothèque numérique pour présenter ce que je sais faire, décrit-il, et ce qui fonctionne à l’époque, ce sont les vidéos drôles comme celles de Cyprien ou Norman, donc je tente le coup également».

Sa page Facebook «les clichés de Jigmé» devient un relais de ces publications vidéo. La chaîne YouTube prend le même nom. « Je décide de détourner les clichés de la vie quotidienne et pas seulement de proposer un sketch face caméra», reprend Jigmé. Ainsi, le créateur de contenus est parmi les premiers à réaliser des vidéos d’humour scénarisé où il inclut d’autres personnes. Et le format plaît, les abonnés suivent. Certaines de ses publications atteignent même les 10 millions de vues comme celles sur «les vendeurs» ou sa vidéo «si tout durait six secondes», qui dépassent même les 13 millions de visionnages. «En dix mois, ma chaîne commence à bien fonctionner».

Mais, comme beaucoup de youtubeurs de la première heure, Jigmé voit en 2016 un tournant s’effectuer sur la plateforme. «L’algorithme de YouTube devient plus prégnant sur les contenus, il faut poster régulièrement pour être visible et pouvoir faire fonctionner sa chaîne», note le jeune homme. «Or, poster deux voire trois vidéos scénarisées par semaine, ça n’est pas possible», poursuit-il. La même année, il lance donc une nouvelle chaîne dédiée à la cuisine. «Mes parents sont restaurateurs et j’ai toujours eu cette passion, à un moment je voulais même ouvrir mon propre restaurant».

Dans la foulée, il crée encore une autre chaîne pour publier des vlogs, des vidéos où il montre son quotidien. Une façon «plus simple» de publier du contenu régulièrement mais qui n’est pas sans provoquer une certaine lassitude. «Très vite, c’est devenu redondant et j’ai un peu perdu le goût de mes activités sur YouTube», explique Jigmé.« Et puis, j’ai connu trop de youtubeurs qui ont perdu les boulons à force de se mettre la pression et de se concentrer sur les statistiques».

Peu à peu, Jigmé arrête ses activités sur YouTube. La dernière vidéo de sa chaîne humoristique date de 2019 et de 2021 pour sa chaîne de cuisine. Sa chaîne de vlogs, elle, est supprimée. Pendant ce temps, le vidéaste se consacre à ses nouveaux projets. «J’ai passé une formation en agroforesterie syntropique, une technique d’agriculture qui repose sur une culture à haute densité de plantes diverses, témoigne-t-il, et enchaîné par un CAP cuisine».

Jigmé Théaux ne passe plus son temps à faire du montage mais plutôt à bêcher la terre, planter des graines et cuisiner. « Cela me permet de prendre le temps, chose qu’on fait peu aujourd’hui dans notre société moderne et de tirer une véritable satisfaction de ce que je produis». L’autodidacte se lance plusieurs défis comme parvenir à l’autoproduction «d’ici trois à 5 ans pour les légumes et 7 à 10 ans pour les fruits», précise-t-il. Et, d’ici quelques années, de rénover une vieille grange sur le terrain pour «peut-être en faire une maison d’hôte».

«Finalement, c’est ce projet qui me donne envie de renouer avec la vidéo et de communiquer à nouveau sur ce que je fais», poursuit Jigmé. L’ex-youtubeur s’essaie à des réseaux sociaux qu’il connaît moins comme Instagram et TikTok. «J’avais ce côté un peu bête de me dire que ce sont des plateformes moins bien, comme d’autres pouvaient le penser pour YouTube à l’époque».

Dans un premier temps, sans se montrer à l’image, il tourne de courtes vidéos où il polisse ses casseroles ou prépare des plats comme un riz rose betterave. «Je renoue avec cet aspect des vidéos “home made”, où l’on montre des petites astuces spontanément. C’est un retour aux sources en quelque sorte», se réjouit-il.

C’est dans l’une de ses vidéos dédiée à une recette de cuisine que Jigmé se montre à nouveau. «C’est là que l’engouement a commencé, reconnaît-il, des abonnés m’ont reconnu en fin de vidéo alors que je présentais un plat et ils ont été intrigués de voir ce que je devenais». Depuis, il continue de montrer l’avancée de son potager et de ses travaux en se filmant à la première personne.

Il publie ses vidéos le week-end, sur TikTok, Instagram et X (anciennement Twitter). De sa récolte de cerise à la préparation d’une confiture en passant par le débroussaillage de son terrain, tout y passe.« J’adore le fait que Jigmé n’ait pas attendu d’être ringardisé par les plus jeunes pour changer de vie complètement», souffle admiratif un abonné en commentaires.

Une « nouvelle aventure» qui lui permet de nouer des partenariats sur le long terme avec des marques comme Lidl, Acer ou Orange, pour qui Jigmé réalise des vidéos. «Ils m’équipent et je teste leurs produits. Pour certains outils envoyés par Lidl par exemple, je les mets en scène dans mes vidéos de jardinage», décrit-il. «Je n’ai plus cette pression de devoir faire régulièrement une longue vidéo pour pouvoir décrocher un partenariat. Désormais je noue des collaborations sur le long terme, c’est beaucoup plus agréable».

Le vidéaste assure avoir trouvé «son équilibre». Et si sa chaîne YouTube «les clichés de Jigmé» reste à l’instant T inactive, elle pourrait un jour renaître. «Je ne mets pas de côté une éventuelle reprise sur YouTube pour présenter plus longuement mes astuces pour les récoltes, la cuisine ou une façon de faire de la rénovation écologique», note-t-il. Pour le moment, à défaut de fibre lui permettant de mettre à exécution ce projet, le Périgourdin se consacre en priorité à son terrain.