C’est une idée à laquelle personne n’avait encore pensé : un t-shirt anti-noyade pour les enfants. S’il ressemble à un simple maillot de bain anti-UV hors de l’eau, sa technologie se déploie lors d’une chute dans une piscine, un étang ou dans la mer. En moins de trois secondes, le t-shirt se gonfle et maintient la tête de l’enfant hors de l’eau, allongé sur le dos. Un produit d’autant plus utile car les noyades représentent «la première cause de mortalité par accident de la vie courante chez les moins de 25 ans», selon le ministère de la Mer. Chaque année, environ 1000 décès – dont 400 durant la période estivale – surviennent après une noyade.
Derrière cette innovation, à première vue simple à développer, se cachent en réalité des années de travail. L’histoire commence en 2011, lorsque Philippe Rouvier et Thibaut Choulet se rencontrent dans une école d’ingénieurs. Encore étudiants, ils se lient d’amitié et évoquent déjà l’idée d’un t-shirt anti-noyade. «On s’est dit qu’on n’était pas légitimes sur le sujet, donc on l’a écartée», se remémore Philippe Rouvier. Les deux ingénieurs s’orientent alors vers l’industrie aéronautique.
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Mais, en mai 2021, leur idée refait surface. Philippe Rouvier assiste, impuissant, à la noyade d’une petite fille à quelques mètres de lui. Après quelques recherches, l’ingénieur s’étonne de ne pas voir de produit qui résout ce problème, en dehors des traditionnels brassards ou gilets de natation. Philippe Rouvier retourne voir Thibaut Choulet à l’été 2021, avec l’idée de développer le produit qu’ils avaient en tête. Les deux ingénieurs revêtent alors la casquette d’entrepreneurs et intègrent une pépinière d’entreprises. «On a quitté nos jobs respectifs et créé notre entreprise en décembre 2021», raconte Philippe Rouvier.
En 2022, les deux hommes travaillent à plein temps sur leur projet et confectionnent «plus de 50 versions du produit». «Il y a énormément de contraintes techniques qu’on ne connaissait pas, avoue Philippe Rouvier. Il faut plus de 100 critères pour être certifié à l’international.» Le t-shirt a notamment passé plusieurs tests, comme la résistance à une traction supérieure à 100 kg, alors que le produit est destiné à des enfants de 10 à 30 kg. «On pensait le faire en six mois, il nous en a finalement fallu quinze», souligne Philippe Rouvier.
S’ils brevettent leur invention en 2022, les entrepreneurs participent parallèlement au concours d’innovation du Crédit Mutuel et figurent parmi les quatre lauréats. Un bonheur qui va leur ouvrir les portes du succès. Quelques semaines plus tard, un représentant de l’émission «Qui veut être mon associé», diffusée sur M6, les contacte et leur propose d’y participer en janvier 2023. «On était un peu hésitants car notre produit n’était pas encore certifié et on lançait tout juste notre première production sur notre chaîne d’assemblage en périphérie de Toulouse», se souvient Philippe Rouvier. Leur participation s’avère finalement payante, avec un marché conclu avec l’entrepreneur Anthony Bourbon : 20% de la société contre 200.000 euros d’investissement.
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En 2023, c’est la consécration. Les prix se multiplient pour Floatee : une médaille d’or au concours Lépine international Paris, le prix de la Maire de Paris, le premier prix des finalistes et la médaille de la Société française de médecine, de l’exercice et du sport (SFMES). Autant de récompenses qui ont fait exploser les commandes de t-shirts : «On a reçu des demandes du monde entier, qu’on est toujours en train de trier aujourd’hui.» L’été dernier, l’entreprise connaît même trois ruptures de stock en pleine saison, une récompense après «des années à bosser comme des dingues».
Mais pour Philippe Rouvier, la plus belle récompense reste de sauver des enfants. Et d’aider des parents, à l’image de Bernadette, 43 ans et mère de quatre enfants. Il y a quelques mois, son petit dernier de 4 ans jouait au bord d’un étang. «Il a voulu attraper un bâton et a chuté, raconte-t-elle, mais le gilet s’est déclenché avant que l’on intervienne, le maintenant hors de l’eau.» Si elle reconnaît que le prix de vente de 149 euros est «assez cher», Bernadette souligne la qualité du produit et «l’achat d’une tranquillité». L’an dernier, Floatee a écoulé près de 7000 t-shirts et prévoit 20.000 ventes cette année.
«À fin février, on sera à plus de 100 magasins distributeurs et on espère plus de 250 à la fin de l’année», prévoit Philippe Rouvier. Le produit participe aussi à renforcer le tissu économique français. «Le textile est fabriqué près de Lyon et la partie qui se gonfle aux alentours de Marseille», précise l’entrepreneur. Cinq personnes ont également été recrutées en intérim l’an dernier, et un premier employé a été embauché. Pour éviter les futures ruptures de stock, plusieurs dizaines de milliers de pièces sont en cours de production, avec une cadence qui sera accélérée à l’approche de l’été. À cela s’ajoute la commercialisation d’une version pour les adultes, qui a démarré en janvier 2024, «pour ceux qui pratiquent des sports d’eau ou pour les professionnels».
Désormais, la pépite française rêve grand. «On espère se faire connaître en Europe, puis se développer aux États-Unis à partir de 2025», ambitionne Philippe Rouvier. Un défi de taille à relever, avec de nouvelles certifications à valider. Pour financer ce projet, Floatee organise une levée de fonds de 2 millions d’euros que les fondateurs espèrent «conclure d’ici la fin du mois d’avril». «C’est l’expérience d’une vie», souffle, sourire aux lèvres, Philippe Rouvier. Si les deux créateurs ont rapidement obtenu la confiance de leurs collaborateurs, ils «donnent aujourd’hui régulièrement de leur temps à de jeunes entrepreneurs». Un accompagnement qui permettra, peut-être, de créer une nouvelle belle histoire entrepreneuriale à la française.