Une mesure sans précédent. Pour baisser les prix à la pompe, l’exécutif s’apprête à autoriser les distributeurs à vendre leurs carburants à perte, «dès le début du mois de décembre», pour une durée de «six mois». Si la décision gouvernementale a laissé sceptiques certains commentateurs, elle en dit long sur l’inquiétude que suscite, au sommet de l’État, la flambée des coûts des carburants. Les automobilistes français doivent désormais débourser 1,96 centime en moyenne pour un litre d’essence SP95 et 1,88 centime pour un litre de diesel, selon les données hebdomadaires de la Commission européenne. Il faut remonter au 17 avril – s’agissant du pétrole – et au 6 février – concernant le gazole – pour retrouver des niveaux aussi élevés.

Les Français ne sont toutefois pas les seuls à voir leur portefeuille s’alléger à la sortie des stations-service. Dans l’ensemble des pays de la zone Euro, le litre de sans-plomb a bondi de vingt centimes en moyenne depuis le début de l’année, passant de 1,71 euro à 1,9 euro. Sur la même période, le prix du gazole est lui passé de 1,77 euro à 1,80 euro. Le constat, élargi à l’ensemble de l’Union européenne, est encore plus flagrant: jamais le prix du SP95 n’est monté si haut en un an. Il atteint aujourd’hui 1,81 euro en moyenne, contre 1,66 euro neuf mois plus tôt.

Si l’ensemble du continent est touché par cette envolée des prix, les tarifs à la pompe sont particulièrement élevés pour les automobilistes hexagonaux… et souvent plus chers que chez nos voisins européens. L’essence SP95 est meilleur marché en Espagne (1,73 le litre en moyenne), en Belgique (1,86), au Luxembourg (1,64) ou encore en Allemagne (1,94). À l’échelle de l’Union, seuls quelques pays se révèlent plus onéreux que la France: le Danemark (2,05), la Finlande (1,98), la Grèce (2), l’Italie (1,96) et les Pays-Bas (2,10). À l’inverse, une poignée de pays affichent des tarifs défiant toute concurrence, à l’instar de la Bulgarie (1,42), la Pologne (1,39) ou la Roumanie (1,47). Concernant le diesel, la France est encore plus mauvaise élève, puisque seule les pays scandinaves (Suède, Danemark, Finlande), les Pays-Bas et la Belgique affichent des tarifs plus élevés.

Pour comprendre ces disparités, il faut considérer les nombreux facteurs qui déterminent le prix à la pompe payé par les Européens. «Le prix à la pompe, quel que soit le pays, est défini par cinq paramètres: le prix du baril, le change euro-dollar, la marge de raffinage, la marge de distribution, et enfin, les taxes», explique Philippe Charlez, expert en question énergétique pour l’Institut Sapiens. C’est l’envol du coût du baril de Brent sur les marchés internationaux qui explique, en premier lieu, la flambée des prix dans les stations-service européennes. «Depuis juin, le cours du Brent augmente de façon significative, soutenue par la très forte demande émanant des pays du Sud-Est asiatique d’une part, et, d’autre part, par la baisse volontaire de l’offre décidée par l’OPEP et la Russie». Au début du mois, l’Arabie saoudite et la Russie ont annoncé réduire leur production pétrolière jusqu’à la fin de 2023, une nouvelle qui a propulsé les prix du brut à leurs plus hauts niveaux depuis dix mois.

La «marge de raffinage», qui correspond à la différence entre la valorisation des produits raffinés et le cours du Brent, a également joué en défaveur des Européens. Cotées à Rotterdam, «les marges de raffinage ont augmenté de 35% au cours des derniers mois, pour des raisons, là encore, d’offre et de demande», relève l’expert.

Ces deux paramètres sont communs à tous les pays de l’Union. Les autres, en revanche, diffèrent en fonction des pays. C’est notamment le cas des marges de distribution. «Elles intègrent le transport du carburant vers le point de distribution et les coûts de la pompe à essence, qui diffèrent selon les localisations», détaille Philippe Charlez. Mais, à en croire l’expert, les distributeurs ne sont pas les principaux responsables de l’envolée des prix hexagonaux. «En France, comme ailleurs, les marges de distribution ont plutôt baissé au cours des deux derniers mois, obéissant à une loi qui veut que lorsque les marges de raffinage augmentent, la marge du distributeur diminue», rapporte Philippe Charlez.

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Reste les taxes. C’est par ce levier que les États peuvent directement influencer le prix des carburants à la pompe. «Entre 36 % et 56 % du prix facturé sur les carburants en Europe vient des pouvoirs publics: il s’agit de la fiscalité pesant sur les carburants», opine Philippe Charlez. Celle-ci est volontairement lourde, afin de pousser les automobilistes à modifier leurs comportements et à se procurer des véhicules plus modernes, moins gourmands et moins polluants. La taxation sur les carburants est cependant loin d’être uniforme en Europe. Alors que la France compte trois taxes sur les carburants – la TICPE, TVA et la TVA sur la TICPE – pesant pour 52% du prix de l’essence à la pompe (49% pour le gazole), certains pays sont plus complaisants à l’égard des automobilistes. C’est le cas de la plupart des pays est-Européens (Hongrie, Bulgarie, Roumanie…), dont la part des taxes dans le produit facturé ne dépasse guère les 45%. Seuls quelques pays européens taxent davantage le pétrole que l’État français: c’est le cas de l’Italie (55% du produit vendu), de la Grèce (55%), des Pays-Bas (55%) et la Finlande (56%). La France se distingue surtout par son haut niveau de taxation sur le gazole, de cinq points supérieur à la moyenne européenne.

Globalement, les pays qui taxent le moins sont ceux dont les automobilistes bénéficient des meilleurs tarifs à pompe. Seules quelques exceptions méritent d’être relevées. À niveau de taxation équivalent, la Belgique jouit d’un prix du diesel en moyenne moins avantageux que la France (1,9 euro le litre). Le paradoxe est encore plus frappant concernant la Suède, qui taxe le gazole à hauteur de 36% seulement, mais le paie bien plus cher qu’en France, à 2,15 euros le litre en moyenne. «Cela ne veut peut venir que des marges de distribution, et peut donc être interprété comme un bon point pour notre réseau de distributeurs national, sans doute plus compétitif qu’ailleurs», estime Philippe Charlez. Un avantage national qui pourrait encore grandir dès lors que les distributeurs français seront autorisés à «vendre à perte», comme le souhaite le gouvernement.