«Nous voulons recruter les meilleurs et nous sommes dans un univers extrêmement concurrentiel». On croirait entendre le patron d’un grand cabinet de conseil ou d’un géant de la Tech, et pourtant, il n’en est rien: la phrase a été prononcée par un responsable ressources humaines de la Direction générale de la sécurité extérieure, plus connue sous l’acronyme DGSE. Lors d’un entretien accordé à Ouest-France, le responsable de l’institution a fait part des ambitions du service secret français, qui vise le recrutement de «plus de 700 postes supplémentaires entre 2024 et 2030 ».

La nouvelle loi de programmation militaire, votée en juillet dernier, a en effet alloué près de 60% de crédits budgétaires supplémentaires au renseignement français, dans l’objectif, notamment, d’étoffer ses effectifs. Pour le ministère des Armées, l’objectif est clair: la France doit maintenir sa place dans le peloton de têtes des services de renseignements mondiaux. «La DGSE doit être la locomotive technologique pour l’ensemble de la communauté du renseignement. Nous nous devons d’être compétents partout: analyse, grands programmes mutualisés, langues étrangères, cyber…», clamait le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, le 11 mai dernier.

Finies les candidatures sous le manteau: pour recruter de nouveaux profils d’exception, la DGSE a choisi d’avancer à visage découvert. Voilà plusieurs mois que la «Centrale» poste des dizaines d’offres d’emploi sur les sites traditionnels de recrutements que sont LinkedIn, JobTeaser ou Welcome to The Jungle. Les aficionados de la série Le Bureau des légendes (Canal ) seront sans doute déçus de ne pas y trouver d’offres d’«officier traitant», le titre officieux des espions de la DGSE. À l’inverse, les ingénieurs ont de quoi se frotter les mains. Sur LinkedIn, les postes à pourvoir font la part belle à la télécommunication et au «cyber»: investigateur réseau télécom, Pentester, ingénieur des données massives… L’échantillon laisse entrevoir la diversité des compétences recherchées par la DGSE. «Nous avons plus de 248 métiers différents», indique le responsable RH interrogé par Ouest-France. Ces recrutements, qui répondent aux besoins techniques du service secret, se font essentiellement sous le statut contractuel.

Que les James Bond en herbe se rassurent, l’institution a toujours besoin d’officiers traitants, qui constituent, à eux-seuls, le noyau dur du «renseignement humain» français. Pour espérer intégrer ce corps d’élite, il faut réussir le concours des attachés de la DGSE. Un concours particulièrement sélectif, puisque l’an dernier, il avait attiré 1000 candidats pour 36 postes… Les lauréats du concours intègrent la «Centrale» en tant qu’analyste: ce n’est qu’au bout de plusieurs années qu’ils ont la possibilité d’être envoyés en mission à l’étranger, et donc, de devenir espion, comme le célèbre Malotru, incarné par Mathieu Kassovitz à l’écran. À l’instar du personnage, «la plupart des analystes et des officiers traitants sont des anciens Sciences Po», selon Olivier Mas, ancien officier et ex-clandestin de la DGSE. «Ce sont des formations qui se marient très bien à ce qu’on attend des agents», ajoute-t-il. D’où une certaine «monoculture» dans le contingent des recrutements civils, qui constituent 39% des effectifs de la DGSE, au coude-à-coude avec les militaires (32%).

Globalement, les postes «sensibles» requièrent un très haut niveau de diplôme, y compris pour ceux du versant technique. «Parmi nos agents, on compte beaucoup de Sciences Po, des diplômés de l’Inalco, énormément d’ingénieurs, des polytechniciens, des normaliens…», égrenait le directeur général de l’institution, Bernard Emié, au magazine Emile en 2019. Et ce n’est pas le seul prérequis au recrutement. «Une fois le candidat retenu, il est soumis à une série de tests psychotechniques, qu’il doit impérativement réussir. S’ensuit une enquête de 6 mois pour valider l’habilitation secret-défense, durant laquelle l’institution fouille toutes les informations disponibles sur le candidat, à la recherche de la moindre faille, y compris dans le cercle familial», dévoile Olivier Mas.

À en croire l’ancien «clandé», tout le monde n’est pas fait pour intégrer les services secrets. La première qualité est, sans surprise, la discrétion. C’est d’ailleurs ce que préconise l’institution aux potentiels candidats: «soyez discret sur votre candidature», lit-on en conclusion des offres d’emploi publiées récemment. On pourrait y voir un trait d’humour. Pourtant, quand il s’agit de recruter les futurs pontes du renseignement français, la «Centrale» prend de réelles précautions. «La DGSE veille à ce que les recrues n’aient pas de penchants mythomanes ou même de tendance à être bavard», avance Olivier Mas. Les moindres failles de la vie privée sont traquées par l’institution: «Ce qui est rédhibitoire, ce sont les problèmes d’argent, d’addictions…», souffle l’ex-espion. D’autres points, moins évidents, peuvent valoir une mention «problématique» sur le dossier du candidat. «Avoir un conjoint journaliste par exemple, peut poser problème. De même il faut faire attention aux nationalités. Avoir un membre de sa famille qui est russe aujourd’hui, par exemple, serait perçu comme très sensible», assure Olivier Mas.

Longtemps restée dans l’ombre, la DGSE a profité d’une vague de popularité inattendue à la faveur de la série Bureau des Légendes. La «Centrale» s’est largement saisie de ce succès télévisuel pour renforcer sa communication et booster son attractivité, auprès des jeunes notamment. Dans la foulée des attentats de 2015, de nombreux Français ont spontanément proposé leur candidature «au service de la France». Mais ce ne sont pas exactement ces profils «tout public» que convoite le boulevard Mortier. La DGSE lorgne plutôt les jeunes ingénieurs et mathématiciens de très haut niveau. Elle est, sur ce terrain, en concurrence avec les grandes entreprises privées. «Nous devons nous adapter aux fortes tensions sur certaines spécialités. Dans le domaine de l’imagerie ou de la cyber, c’est la jungle!», confessait le patron de la DGSE auditionné par les parlementaires en juin dernier. D’après le responsable contacté par Ouest-France, la rémunération offerte aux jeunes talents reste de «bon niveau».

«Les profils d’ingénieurs sont souvent chassés par la DGSE dans les grandes écoles. Pour les convaincre, elle propose des contrats intéressants», souligne Olivier Mas, tout en admettant que le salaire n’est pas le meilleur argument de la DGSE. «C’est évidemment le sens de la mission qui attire, servir l’Etat». Plus que l’écart de salaire, c’est la rigidité du boulevard Mortier qui peut freiner les candidats, estime l’ex-espion. «La jeune génération aime imposer ses exigences à l’employeur et garder une certaine liberté de changement. Or, intégrer la DGSE implique de se conformer à un protocole strict et de rester un certain temps dans l’institution, au moins dix ans, en raison du temps de formation et d’habilitation des postes».