La rupture entre TikTok et Universal est bel et bien consommée. Depuis un mois, l’ensemble des chansons du catalogue de la major américaine, qui compte notamment Taylor Swift ou The Weeknd parmi ses artistes, ont été supprimées du réseau social. Le journal spécialisé The Verge évoque le retrait d’environ 4 millions de morceaux. Lundi soir, Universal a enclenché le «bouton nucléaire», selon les experts du secteur. Il a également demandé à TikTok de retirer toutes les vidéos qui contiennent des chansons écrites par des auteurs du label. Le réseau social s’est engagé à l’avoir fait d’ici à la fin du mois.

Cette décision pourrait impacter 80% des albums à succès de Warner Music, de Sony Music, et de labels indépendants, selon le Wall Street Journal. Car un album peut compter plus de dix auteurs issus de labels différents. De son côté, TikTok estime que ce sont au total 20 à 30% des chansons populaires utilisées sur sa plateforme, avec des variations selon les régions, qui pourraient être retirées.

La rupture entre TikTok et Universal remonte au 31 janvier dernier, date à laquelle le contrat qui liait les deux entreprises arrivait à échéance. Les discussions ont notamment achoppé sur la rémunération des artistes et des auteurs-compositeurs, la sécurité de la plateforme et l’utilisation de l’intelligence artificielle. « TikTok a tenté de nous intimider pour que nous acceptions un accord d’une valeur inférieure à l’accord précédent, bien en deçà de la juste valeur du marché et ne reflétant pas sa croissance exponentielle », avait alors accusé la major américaine. Le réseau social chinois proposait de payer « un taux qui n’est qu’une fraction du taux payé par les principales plateformes dans une situation similaire », avait-elle poursuivi.

Pointé du doigt, TikTok, qui a enregistré près de 20 milliards de dollars de revenus publicitaires en 2022, avait regretté que Universal ait « choisi de se détourner du soutien puissant d’une plateforme qui compte plus de 1 milliard d’utilisateurs et qui sert de véhicule de promotion et de découverte gratuit pour ses talents ». Il avait rejeté en bloc les arguments de Universal qui sont « faux » et ne servent pas, selon lui, les intérêts des artistes et de leurs fans.

Les discussions entre les deux entreprises sont toujours au point mort. Les récents appels du pied de TikTok n’ont pas eu d’effet, Universal estimant que ses propositions ne règlent en rien ses préoccupations. En attendant, TikTok accuse le coup. Des millions de vidéos se sont retrouvées muettes depuis le 1er février.

Le réseau social chinois est, avec YouTube, celui qui utilise le plus de musique sur sa plateforme. 85% de ses vidéos en contiennent, contre moins de 50% sur Facebook et environ 60% sur Instagram. L’ensemble du secteur en pâtit. Les extraits de musiques (jusqu’à 60 secondes par vidéo) contribuent à rendre certaines vidéos virales. Elles dopent aussi la fréquentation des plateformes de streaming musical comme Spotify, Deezeer ou Apple sur lesquelles les utilisateurs peuvent écouter les morceaux dans leur intégralité, générant ainsi des revenus supplémentaires pour les artistes et leurs labels.

Parmi les chanteuses d’Universal, Ariana Grande a récemment sorti un remix de sa nouvelle chanson “Yes, and?” avec Mariah Carey (Sony) et a posté une vidéo sur TikTok pour la promouvoir. Sur cette vidéo, on voit les deux artistes chanter mais au lieu de la chanson, une voix générée par IA indique : « nous ne sommes pas autorisés à diffuser cette chanson ici. Alors regardez cette vidéo et essayez d’imaginer à quoi elle ressemble ». Sur le compte TikTok de Taylor Swift, exit le son sur certaines vidéos : « le son a été supprimé pour cause de restrictions des droits d’auteur », peut-on lire.

De nombreux chanteurs sous contrat avec Universal se voient ainsi privés d’un support important de promotion. Y compris les chanteurs émergents, particulièrement pénalisés. De quoi plomber aussi l’activité de nombreux créateurs de contenu comme les danseurs qui utilisaient des chansons du catalogue de Universal.

À terme, le conflit entre TikTok et Universal pourrait rebattre les cartes des discussions entre les autres majors du secteur et le réseau social chinois. À l’ère du streaming, c’est aussi une bataille entre deux mondes qui se joue. Qui l’emportera entre le réseau social présent sur les smartphones de tous les jeunes (ou presque) de la planète et le label derrière Taylor Swift, Drake et Billie Eilish ? Une chose est sûre, après avoir longtemps accordé des tarifs préférentiels à TikTok, Universal entend bien le faire passer à la caisse, comme il le fait déjà avec Instagram (Meta) et YouTube (Google). Un vrai Big Bang pour l’industrie musicale.