Pour le commun des mortels, ce sont des îles. Pour les acteurs de l’énergie des zones non interconnectées (ZNI). Comprendre : des territoires 100% autosuffisants pour la production de leur électricité. Ces territoires, représentant 1,2 million de clients, ont longtemps été dépendants de leurs centrales à charbon ou au fioul pour produire leur électricité. La Guyane peut certes compter sur son barrage de Petit Saut pour produire plus de 60% de l’électricité qu’elle consomme, mais elle fait figure d’exception. Les autres îles sont majoritairement dépendantes des fossiles. Elles ne sont connectées à aucun autre, contrairement à la métropole qui peut compter sur ses voisins en cas de difficultés et réciproquement. L’année dernière, alors que les centrales nucléaires d’EDF tournaient au ralenti, l’Hexagone a ainsi pu importer de l’électricité d’Allemagne, notamment.

Un tel scénario est impossible pour La Réunion, les Antilles, les îles du Ponant (Sein, Ouessant, Molène, Chausey) ou même la Guyane, considérée comme «une île énergétique» n’étant pas raccordée à ses voisins. Le cas de la Corse est particulier, l’île de beauté disposant d’une liaison avec l’Italie. Mais cette dépendance aux hydrocarbures pour produire de l’électricité ne va pas durer. Dès l’année prochaine, de premiers territoires insulaires produiront et consommeront 100% d’électricité verte. «Les zones non interconnectées sont en avance sur la métropole dans le cadre de la transition énergétique», résume Antoine Jourdain, directeur des systèmes énergétiques insulaires (SEI) chez EDF.

Les difficultés rencontrées sont inversement proportionnelles à la taille des territoires concernés. «Quand une centrale tombe en panne en métropole, les solutions de substitution ne manquent pas. Sur une île, éviter les coupures est plus complexe», ajoute Antoine Jourdain. EDF a déployé un budget de 15 millions d’euros de recherche et développement pour tenter de résoudre un épineux problème : comme éviter les black-out sans surdimensionner le réseau? Une partie de la réponse a été trouvée, en dix ans le nombre de coupures a été divisé par dix !

Mieux, d’ici à 2033 l’électricité produite sur les îles sera à quasi 100% renouvelable. Sauf la Corse. Ce bémol est lié au fait que la Corse est reliée à la Sardaigne et à l’Italie continentale pour un peu moins d’un tiers de sa consommation d’électricité. Le verdissement de cette partie dépend donc des Transalpins. Pour les autres territoires, le pari était double, répondre à la fois aux enjeux de la transformation écologique et renforcer la sécurité énergétique. Le choix a été fait de convertir des centrales thermiques, brûlant essentiellement du charbon, à la biomasse liquide. En Corse et en Guyane, deux nouvelles centrales sont en construction pour compléter le dispositif.

Mais dans des territoires ensoleillés et souvent venteux, pourquoi ne pas miser davantage sur l’éolien et le solaire? Des projets sont bien en développement, pour environ 50 mégawatts de capacité de production, en ne prenant en compte que la partie développée par EDF Renouvelables. Mais, par mesure de précaution, pas question de ne dépendre que des vents ou du soleil. «Un jour de typhon, la Martinique a perdu 80% de sa production renouvelable en un quart d’heure : trop de vent pour faire tourner les éoliennes et plus de soleil pour les panneaux», résume Frédéric Maillard, PDG d’EDF production électrique insulaire (PEI). D’où le choix du producteur de miser en premier lieu sur des centrales thermiques équipées de moteur dans lesquels le combustible fossile est remplacé par de la biomasse liquide. «La biomasse liquide est une énergie renouvelable et garantie. Elle compense l’intermittence des éoliennes et des panneaux solaires, tout en divisant par trois les émissions CO2», explique Frédéric Maillard. Pour une centrale, ce sont 2,5 millions de tonnes d’émissions de CO2 qui seront évitées tous les ans, dès 2030

Un carburant vert donc, mais pour que le remède ne soit pas pire que le mal, EDF explique avoir été très vigilant sur la provenance de cette biomasse liquide. Le groupe a écarté l’huile de palme et l’huile de soja, pour leur impact négatif sur l’environnement, les écosystèmes et pour ne pas entrer en concurrence avec les usages alimentaires. Le colza a été retenu, sachant qu’en plus des huiles, les producteurs fabriquent des tourteaux de colza destinés à l’alimentation animale. En outre, les besoins en arrosage du colza sont limités. EDF a choisi de s’appuyer sur le groupe Saipo, spécialiste du colza et à même de garantir la traçabilité de ses produits. Seule ombre au tableau : il faut importer ces huiles depuis la métropole, jusqu’à La Réunion ou aux Antilles. «Les énergies fossiles aussi sont importées», rétorque Frédérique Maillard.

La transition énergétique des îles est donc en bonne voie. Les 78.000 clients guyanais disposeront d’une énergie 100% renouvelable d’ici à la fin de la décennie, les 419.000 clients de la Réunion seront eux les premiers à disposer d’une électricité renouvelable dès l’année prochaine. L’île Bourbon bénéficie du virage d’EDF mais aussi d’autres producteurs locaux d’électricité, comme Albomia , qui a converti sa centrale thermique à la bagasse – résidu de canne à sucre. La prochaine centrale qui devrait être convertie à la biomasse devrait être celle de Lucciana, en Corse.