À dix jours de souffler sa première bougie comme PDG d’EDF, Luc Rémont était ce mardi matin sur l’estrade aux côtés des ministres de l’Économie Bruno Le Maire et de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher pour présenter la future régulation des prix de l’électricité nucléaire en France. «Avec cet accord, nous avons réussi à trouver un équilibre vital entre la compétitivité de notre industrie, la visibilité, la stabilité pour les ménages et le développement d’EDF», s’est félicité le patron de Bercy Bruno Le Maire.
Le dispositif de l’Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique), qui permettait à des fournisseurs alternatifs d’accéder à une partie de l’électricité nucléaire d’EDF pour seulement 42 euros par mégawattheure, prendra fin comme prévu au 31 décembre 2025. Un nouveau cadre réglementaire prévoit que le prix de l’ensemble de l’électricité produite par le parc nucléaire français devra atteindre la cible de 70 euros par MWh en moyenne sur 15 ans. «Cela va se traduire par des hausses de prix de l’énergie, mais elles seront limitées. Les prix seront surtout moins volatils que par le passé», tentait de rassurer le ministre de l’Industrie, Roland Lescure, invité de France Info quelques heures avant la conférence de presse.
Cette prise de parole commune des ministres et du patron d’EDF vient clore des mois de discussions tendues entre l’État et le groupe public au point que l’hypothèse d’une démission du PDG a agité cet automne le microcosme politico-énergétique. «Toute solution qui ne ferait pas consensus serait un échec», expliquait récemment un des participants à la discussion.
Mais que ce fut difficile de trouver le point d’équilibre entre le pouvoir d’achat des Français, la compétitivité des entreprises consommatrices d’électrons, la situation financière d’EDF, la nécessité d’investissements massifs pour renouveler l’outil de production, et les exigences de concurrence dont la Commission européenne est la gardienne! Le tout, bien sûr, en respectant la promesse présidentielle de «reprendre le contrôle des prix de l’électricité».
À l’heure actuelle, les prix de l’électricité sont essentiellement formés sur le marché européen, qui les indique à l’instant ou pour une ou deux années à venir. La crise énergétique – provoquée par le tarissement du gaz russe et par l’accident industriel qui a contraint EDF, historiquement le grenier à électrons de l’Europe, à arrêter de nombreuses centrales – a créé une envolée des prix depuis deux ans et une énorme volatilité. Or, ces prix de marché sont répercutés au consommateur final, y compris dans les calculs des formules de tarifs réglementés pour les particuliers qui y souscrivent en France. Particularité française du système : les fournisseurs concurrents d’EDF et les grandes entreprises consommatrices ont accès à un volume d’électricité nucléaire à un prix fixe (42 euros le MWh) à concurrence de 100 TWh par an. Ce mécanisme, justifié par le monopole d’EDF sur la production nucléaire, a participé à modérer la flambée des prix mais a creusé les pertes de groupe public l’an dernier.
L’Arenh expire à la fin de 2025. Une raison de plus pour revoir le système. Le cadre sur lequel l’État et EDF se seraient entendus et qui sera précisé ce mardi reste inscrit dans le marché. L’objectif est cependant d’en allonger la perspective pour réduire la volatilité et améliorer la visibilité pour l’ensemble des acteurs. Luc Rémont souhaite qu’EDF reste une entreprise marchande. EDF entend proposer des offres commerciales pour vendre sa production pour des périodes de cinq à dix ans, avec des volumes vendus sur le marché, et au travers de contrats de gré à gré conclus soit avec des fournisseurs concurrents, soit avec des entreprises consommatrices. Les premières, testées depuis l’automne, révèlent des prix de 77 euros à l’horizon 2028, de 83 à 85 euros à l’horizon 2027. Les seconds ont à ce stade été difficiles à négocier, et très peu ont été conclus.
Quoi qu’il en soit, cette action par le marché est censée faire baisser les prix. Les références entreront dans le calcul des tarifs pour les particuliers. Mais le tout fera l’objet d’un encadrement strict par la puissance publique pour forcer l’atteinte de l’objectif fixé, après d’âpres discussions, à 70 euros le MWh en moyenne. Un prix inférieur à celui qui se pratique aujourd’hui mais supérieur à celui que les Français avaient l’habitude de payer jusqu’à la crise.
Pour encadrer les prix, l’État prélèvera, en cas de crise, 50% des revenus encaissés par EDF sur le marché au-delà d’un premier seuil, évalué aujourd’hui à 78-80 euros le MWh, et 90% si le prix dépasse un second seuil de 110 euros le MWh.
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Arrêter le curseur autour de 70 euros a été l’objet d’une négociation pied à pied. D’un côté, les entreprises souhaitaient un prix bien inférieur. Certaines grandes consommatrices pourront négocier de meilleurs tarifs, notamment en participant aux investissements d’EDF et en s’engageant dans des systèmes d’effacement de leur consommation quand l’électricien le leur demandera. Mais les industriels souhaitent des aménagements plus larges pour couvrir davantage d’entreprises.
D’un autre côté, EDF a fait valoir ses propres contraintes. L’électricien ploie sous une dette financière nette de 65 milliards d’euros et doit engager un programme d’investissements sur son outil de production existant et en vue de son renouvellement estimé à 25 milliards d’euros par an. À 70 euros le MWh, il est censé générer suffisamment de cash-flow et de rentabilité opérationnelle pour ne pas voir sa notation financière dégradée et pour porter sur son bilan au moins la majorité du programme de futurs réacteurs EPR2.
Cela suffira-t-il ? Des clauses de revoyure permettront de réévaluer régulièrement les paramètres de l’équation. Et deux combats se profilent. Le premier, avec la Commission européenne qui examinera avec application le système de régulation que lui présentera la France. Alors que le débat sur la réforme, européenne cette fois, du marché de l’électricité s’est concentré sur le cas EDF, véritable pomme de discorde entre la France et l’Allemagne, nul doute que cet examen sera sans pitié. Le second débat sera franco-français et portera sur les marges de manœuvre dont dispose le cas échéant EDF pour gérer son équation financière. Des cessions d’actifs seront probablement au programme. Reste à savoir dans quelle ampleur elles seront nécessaires.