La nouvelle n’a fait que peu de cas dans une actualité pléthorique. Elle devrait pourtant révolutionner le trafic aérien français et au-delà. Une proposition de loi portée par le sénateur centriste Vincent Capo-Canellas, par ailleurs ancien maire du Bourget, a été entérinée mardi soir par un vote majoritaire à l’Assemblée nationale, après une approbation du Sénat au mois de juin dernier. Le gouvernement a salué en la personne du ministre des Transports, Clément Beaune, un texte «protecteur et d’équilibre» qui mettra fin «à un système asymétrique» à l’origine d’une «désorganisation du service public».

C’est peu dire que le contrôle aérien français bénéficiait avant ce texte d’une sorte d’état de grâce social. Jusqu’à la mise en œuvre de cette loi, les contrôleurs ne sont pas tenus de se déclarer individuellement en grève lorsqu’un syndicat dépose un préavis. En l’absence d’informations exactes sur l’ampleur de la participation au mouvement, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), l’administration qui encadre le trafic aérien en France, recourt quasi systématiquement au service minimum auquel elle est tenue par la loi. Pour assurer les 50% du trafic prévus dans le cadre de ce service minimum, la DGAC se retrouve contrainte de supprimer des vols à titre préventif, sans connaître exactement l’ampleur du mouvement social. Ainsi, lors du mouvement contre la réforme des retraites, l’organisation chargée de superviser le trafic aérien en France annulait 10%, 20%, 30%, voire 40% des vols la veille des journées de mobilisation.

Les contrôleurs aériens, parfaitement au fait de ces défaillances, n’ont pas manqué pas d’en tirer parti. Il leur suffisait de déposer un préavis de grève pour durement perturber le trafic aérien sans le payer d’un jour de grève et de la perte de salaire associée, puisque les vols seront supprimés par l’administration. Parfois, tout au contraire, le nombre de grévistes surpasse les approximations de la DGAC, forçant l’organisation à annuler des vols supplémentaires à la dernière minute, ajoutant du désordre au désordre.

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La future loi vise précisément à réformer ce système. «Ce texte permet d’éviter la désorganisation du transport aérien et les annulations de vols sans beaucoup de grévistes. Le trafic sera proportionné au nombre de grévistes», insiste auprès du Figaro le sénateur Vincent Capo-Canellas. Le secteur aérien devrait s’en féliciter tant il a répandu sa colère face aux grèves à répétition des aiguilleurs du ciel français et les conséquences délétères sur le trafic. Le président-directeur général de Ryanair, Michael O’Leary, qui n’a pas sa langue dans sa poche, voyait dans ces perturbations récurrentes une entrave à «la liberté de déplacement». Une analyse partagée par plus de 1,8 million d’internautes qui ont signé une pétition en ligne destinée à la commission européenne pour lutter contre le système de contrôle aérien français.

Le coup de gueule de Ryanair est symptomatique du ras-le-bol de tout un secteur vis-à-vis de cette «gréviculture» au sein du contrôle aérien français qui mine l’économie du ciel. Les passagers lésés pendant les grèves contre la réforme des retraites, qu’ils soient voyageurs d’affaire ou simples touristes, se comptent en millions. Les compagnies aériennes, encore convalescentes des années Covid, ont dû faire face à un surcoût estimé par Eurocontrol – l’organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne – entre 40 et 147 euros par minute, selon la durée du retard. Soit, au total, entre 100 et 350 millions d’euros passés à l’as pour les seules compagnies. Sans compter le coût des annulations de vol – 10 millions d’euros pour Air France par exemple – et des éventuels changements de route.

Ces estimations générales dissimulent des disparités, mais donnent la mesure du coût considérable des débrayages du contrôle aérien. «C’est simple : un avion ne peut pas voler sans contrôleur pour le guider», explique Laurent Timsit, délégué général de la Fédération nationale de l’aviation et de ses métiers (FNAM). Ce constat se vérifie aussi bien à l’approche, c’est-à-dire au décollage et à l’atterrissage, que lorsque l’appareil survole un territoire donné ; le lien entre le cockpit et le contrôleur n’est en définitive jamais rompu tout au long de la navigation.

Leur présence indispensable confère aux aiguilleurs du ciel un pouvoir de nuisance dont ils savent user pour se faire entendre. Le principal syndicat du secteur, le SNCTA (Syndicat national des contrôleurs du trafic aérien), avait ainsi déposé un préavis de grève pour le vendredi 15 septembre. Finalement levé, celui-ci visait à défendre des revendications essentiellement salariales. Le même syndicat avait déjà organisé une mobilisation le vendredi 16 septembre 2022 pour des raisons similaires. Après une journée de grève marquée par l’annulation de 50% des vols, les contrôleurs avaient obtenu gain de cause.

Comme le souligne Ryanair, la profession est coutumière du fait. Entre 2004 et 2016, les contrôleurs aériens français ont accumulé 254 jours de grève, selon un rapport sénatorial publié en juin 2018. De quoi hisser notre pays au rang de champion européen invétéré des grèves dans le secteur, loin devant le dauphin grec et ses 46 jours de grève sur la même période. Les contrôleurs allemands n’ont pour leur part été en grève que quatre jours en douze ans. L’écrasante majorité des pays européens se situent sous la barre des dix jours de grève sur la période.

Le rapport relève en outre que «chaque jour de grève en France a un impact sur le trafic aérien européen beaucoup plus fort que pour les autres pays» d’Europe. Ainsi, non seulement les aiguilleurs français se distinguent par un important volume de grèves, mais chacune de leurs grèves s’avère beaucoup plus préjudiciable pour le trafic aérien que si elle avait lieu ailleurs sur le continent. Résultat : les débrayages des contrôleurs français sont à l’origine de plus des deux tiers – 67% – des jours de grève du contrôle aérien en Europe, ainsi que de «96% des retards provoqués par ces grèves» entre 2004 et 2016 en Europe.

Ce chiffre frappant s’explique d’abord par des raisons géographiques. La position de la France, au carrefour de l’Europe, implique une circulation plus dense des avions : davantage de mouvements au sol (atterrissages et décollages) et davantage de survols.