«Nous ne laisserons plus rien passer : aucune dérive, aucun abus, aucune malversation», martèle Bruno Le Maire depuis son pupitre à Bercy. En pleine tempête autour de la réforme des retraites, le ministre de l’Économie et des Finances a fait un pas de côté ce vendredi en dévoilant son plan d’actions pour en finir avec la jungle des influenceurs en France. Quatre mois de concertations et de travaux avec des agences d’influenceurs, les géants de la tech (Youtube, Meta, TikTok, Snapchat), la Répression des Fraudes, l’Autorité des marchés financiers (AMF), ou l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), ainsi qu’une consultation publique de 20 000 citoyens, auront été nécessaires.
«C’est la première fois en Europe qu’un cadre complet de régulation des influenceurs sera mis en place», précise Bruno Le Maire, entouré des députés Stéphane Vojetta (Renaissance) et Arthur Delaporte (socialiste) qui portent le texte de loi sur le sujet. Ce dernier sera examiné dès la semaine prochaine à l’Assemblée nationale. Les dérives mises en lumière ces derniers mois autour de placement de produits et de services frauduleux (à la manière d’un télé-achat 2.0) avaient poussé l’exécutif à agir.
En premier lieu, l’exécutif acte la création en France par la loi d’une définition juridique de l’«activité d’influence commerciale», de «l’influenceur» ainsi que la création d’une définition juridique pour les «agences d’influenceurs». À cela s’ajoute l’obligation d’un contrat écrit entre les marques, les agences et les influenceurs sous un format libre. «L’utilisation de contrats écrits était jusqu’à présent loin d’être systématique dans le secteur», affirme Bruno Le Maire.
Comme dans de nombreux pays, le secteur du marketing d’influence souffrait en France d’un flou juridique. L’exécutif propose ainsi un arsenal législatif, afin de construire un régime de responsabilité pour les influenceurs vis-à-vis des contenus qu’ils postent. En France, ils sont plus de 150.000 citoyens à être considérés comme des influenceurs. «Dans un secteur qui réussit, il est normal qu’il y ait des règles claires, et qu’elles soient respectées par tous», précise le ministre de l’Économie.
Bercy a également dévoilé un «guide de bonne conduite» destiné aux influenceurs et créateurs de contenus, comportant l’essentiel de leurs droits et de leurs devoirs.
À l’image des règles en vigueur dans les médias traditionnels comme la presse, la radio ou la télévision, la promotion de certains produits et services (tabac, alcool, actes de santé, produits financiers, jeux d’argent et de hasard…) sera fortement encadrée. Désormais, les mentions légales devront obligatoirement apparaître. La promotion de cryptoactifs sera, elle, seulement autorisée sous réserve d’enregistrement à l’AMF.
De son côté, la promotion de la chirurgie esthétique à travers l’influence commerciale devrait être strictement interdite. Par ailleurs, l’utilisation de filtres sur les réseaux sociaux lorsqu’un influenceur fera la promotion via une photo ou une vidéo retouchée de produits cosmétiques sera bientôt rendue obligatoire.
Autre grand pilier de régulation, Bercy s’attaque à la protection des influenceurs mineurs. «Chacun peut voir que l’activité d’influenceur fait rêver de nombreux mineurs», lance Bruno Le Maire. Pour les mineurs de moins de 16 ans, il sera nécessaire d’obtenir un agrément auprès des services de l’État et 90% des sommes perçues issues de l’influence commerciale devront être cosignées jusqu’à leur majorité.
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Pour mieux protéger les consommateurs français, l’exécutif a décidé de renforcer les dispositifs de signalements des arnaques. Il donnera le statut de «signaleurs de confiance» à plusieurs associations qui ont dénoncé des derniers mois certains méfaits des influenceurs. Autre levier, le site public SignalConso sera également décliné en application mobile.
De leur côté, les plateformes numériques (comme Facebook, Instagram, TikTok…) devront mettre en place un canal de signalement spécial. Et leur responsabilité pourra désormais être engagée en cas de contenus problématiques, en ligne notamment avec le règlement européen du Digital Services Act (DSA). «Nous mettrons en place des cellules de veille à Bercy pour comprendre si les géants de la tech jouent le jeu», précise Bruno Le Maire.
Une brigade de l’influence commerciale sera également créée au sein de la Répression des Fraudes, avec une équipe dédiée de 15 agents. «Les influenceurs qui auront été signalés seront également soumis à de nouvelles sanctions», a précisé Bruno Le Maire. Ces sanctions pouvant aller jusqu’à une peine d’interdiction d’exercice de l’activité d’influenceur, avec la fermeture de comptes sur les réseaux sociaux.
Désormais, le texte de loi autour de la régulation des influenceurs, dans lequel les propositions de Bercy ont été ajoutées, sera examiné à l’Assemblée nationale dès la semaine prochaine. «Cette régulation est là pour soutenir et défendre les influenceurs, et certainement pas pour les stigmatiser», a tenu a précisé Bruno Le Maire. «Je crois qu’une adoption du texte de loi à l’unanimité en Commission à l’Assemblée nationale, quelles que soient les croyances politiques de chacun, est possible», a conclu le ministre de l’Économie.