« J’ai la tristesse de vous annoncer la fermeture de notre entreprise familiale bien-aimée». Avec un émoji triste à l’appui, ce message posté et sponsorisé sur Facebook est signé Colette Paris, une prétendue boutique de prêt-à-porter fruit «d’un héritage familial». «L’aventure de diriger l’entreprise de mes parents a été une montagne russe d’émotions remplie de moments incroyables», peut-on lire plus loin sur la publication.

La boutique annonce dans la foulée appliquer des «réductions incroyables», jusqu’à -70% précisément, sur l’ensemble de sa collection. Avec, à l’appui, des photos de vestes, de chaussures et de pulls. De quoi attirer le consommateur… si ce n’est que l’enseigne Colette Paris n’existe pas.

Des internautes, comme le conseiller en communication Adrien Saumier, ont remarqué une série d’éléments étranges sur ces publications. Il explique sur son compte X (ex-Twitter)que la boutique multiplie les publications sponsorisées. Rien qu’en ce début janvier, elle compte 3100 publicités diffusées sur le seul réseau social Facebook. Et toutes contiennent les mêmes photos avec, copié collé, ce message larmoyant.

«Je suis tombé sur l’une de ces publications le 15 janvier et tout de suite quelque chose m’a alerté. D’abord avec la photo de la veste qui s’affichait et qui était trop lisse», témoigne-t-il, «et puis le message…L’histoire paraissait déjà vue et formatée, comme générée par ChatGPT».

En effet, en regardant de plus près la publication en question, on voit que la veste ne paraît pas palpable et qu’il s’agit plutôt d’une création graphique générée par un outil comme Midjourney ou DALL-E, des logiciels capables de créer de faux clichés grâce aux commandes écrites par les utilisateurs. De même pour le message, ponctué d’émojis en forme de médaille, de cœurs brisés et d’éclairs, qui reprennent les codes du réseau social pro LinkedIn.

«Cet usage de l’IA pour générer des images permet de rendre l’arnaque plus crédible. Les escrocs peuvent créer clichés de vêtements originaux, que le consommateur ne retrouvera pas ailleurs. Ce qui lui fera croire que la boutique est bien réelle», décrit Jean-Baptiste Boisseau, cofondateur de la plateforme Signal Arnaques. «Et puis ces personnes vont usurper des marques existantes pour renforcer la crédibilité de leur discours», poursuit ce dernier en pensant à Colette Paris, dont le nom est repris d’une véritable enseigne parisienne qui a fermé en 2017.

Des consommateurs ont d’ailleurs déjà témoigné, sur la plateforme, de leurs mésaventures en passant commande auprès de l’une de ces boutiques. «Une fois la commande passée, pour votre plus grande surprise les produits viennent de Chine, la qualité est moindre, rien à voir avec ce qu’ils présentent sur internet», décrit l’une des victimes. Bien loin donc, de la petite société française réclamant de l’aide. D’autres internautes disent n’avoir jamais reçu leur commande et être dans l’incapacité de joindre le service client. «Depuis six mois, c’est un phénomène que nous avons vu s’accroître», confirme Jean-Baptiste Boisseau.

Sur la page de la boutique Colette Paris, il y a seulement trois commentaires d’internautes visiblement séduits par leur expérience avec l’entreprise. Mais les profils de ces consommateurs ravis s’avèrent factices. « Si on va sur les comptes de ceux qui ont laissé un commentaire, il n’a que quelques publications sans réactions et aucune liste d’amis apparente, bref tout le profil est vide. Soit ce sont des comptes qui ont été piratés, soit ce sont des faux», souligne Adrien Saumier.

Du côté du groupe Meta, qui détient le réseau social Facebook, les équipes essaient autant que possible de faire le ménage et de repérer ces posts frauduleux. Selon nos informations, les pages de boutiques frauduleuses signalées au groupe ne peuvent plus faire de publicités et les publications ont été supprimées pour avoir enfreint les règles du réseau social en matière de pratiques publicitaires.

Mais l’affaire ne s’arrête pas à ces fausses publicités. En cliquant sur le lien disponible à la fin de la publication, celui-ci mène directement au site de la boutique Colette Paris. À première vue, rien d’anormal : le site est sobre mais présente une série de vêtements à des prix compétitifs (40 euros un pull aux motifs de moutons contre 134 euros à l’origine par exemple). Sauf que sur ces mêmes photos, il n’y a jamais de mannequins, et peu de détails sur la composition des produits ou sur les modalités de livraison.

Dans la page de contact, en bas de page, figure un numéro de téléphone. En le tapant sur Google, on s’aperçoit qu’il renvoie à d’autres boutiques douteuses comme Etienne Paris, Matteo Berlin, Amalie Praha, Olivier London, Loïs Amsterdam ou encore Laura Barcelona.

Selon l’AFP Factuel, qui avait déjà enquêté sur le sujet en décembre dernier, les quelques produits qui arrivent dans les mains des consommateurs viendraient de sites bon marché comme AliBaba ou AliExpress. Sur ces mêmes sites, ces vêtements sont vendus à des prix bien plus bas que ceux affichés sur Colette Paris ou les autres enseignes mentionnées plus haut. Une méthode s’apparentant à du dropshipping, une technique commerciale qui consiste à revendre à des prix élevés des produits de basse qualité souvent produits en Chine.

La plupart de ces sites sont créés et propulsés à partir de Shopify, une plateforme d’e-commerce qui permet aux internautes de créer et d’animer leur propre magasin en ligne contre une redevance mensuelle. Contactée par le Figaro, la plateforme assure s’efforcer d’améliorer le commerce pour tous. «Nous prenons très au sérieux les préoccupations relatives aux biens et services proposés par les marchands sur notre plateforme», rapporte un porte-parole de Shopify, avant de préciser : «La politique d’utilisation acceptable de Shopify décrit clairement les activités qui ne sont pas autorisées sur notre plateforme et nous prenons des mesures lorsque des magasins sont en infraction».

Derrière la création de ces sites, on retrouve la société hongkongaise Industex Limited, dont le nom s’affiche sur certaines des pages de contact. Enregistrée au registre du commerce depuis mars 2023, l’AFP Factuel avait découvert que son nom d’origine est Get Started HK, une entreprise qui propose un service de domiciliation pour les entreprises souhaitant s’enregistrer à Hong Kong.