L’affaire a été rondement menée. Thales a annoncé, ce lundi matin, avoir bouclé l’acquisition de la pépite californienne Imperva, un des champions américains de la cybersécurité. Cinq mois seulement après avoir annoncé avoir trouvé un accord avec son propriétaire, le fonds d’investissement Thoma Bravo. La transaction, d’une valeur de 3,4 milliards de dollars, est payée à 50% en cash et à 50% via une émission obligataire. Elle a été signée ce week-end.

Le groupe de défense et de hautes technologies français a obtenu tous les feux verts des autorités de la concurrence ainsi que du Cifus, le Comité sur les investissements étrangers aux États-Unis. Ce dernier n’a pas exigé une mise «sous proxy» d’Imperva, c’est-à-dire sous contrôle américain avec notamment des administrateurs choisis par Washington. «L’opération, qui est une prise de contrôle de 100% d’Imperva, a été finalisée rapidement, sans proxy, ce qui montre que la réputation de Thales est bien établie. Notre société est connue et respectée aux États-Unis où elle participe depuis longtemps à des programmes de défense confidentiels mais livre aussi, par exemple, des documents d’identités à 18 États américains », souligne Patrice Caine, PDG de Thales, dans un entretien au Figaro.

Avec cette acquisition, Thales prend une nouvelle dimension dans le domaine de la cybersécurité. Il devient un leader «de classe mondiale», intégrant le Top 5 international de la cyber, avec 2,4 milliards de chiffre d’affaires et 8 000 salariés, dont 5 600 experts cyber. Créée en 2002, la société californienne est un actif « rare et de qualité », sur un marché très fragmenté, évalué à 136 milliards en 2022 et 267 milliards en 2026 par Accenture et le Gartner Group. Imperva dispose d’un potentiel de croissance à deux chiffres et génère une forte rentabilité (Ebit), d’environ 20 %.

La société, dont le nom dérivé du latin « impervius », signifiant « impénétrable », est leader de la sécurité des données, de la sécurité des applications critiques (firewalls) et des API (les briques logicielles utilisées pour créer des applications), avec des solutions pour les protéger des attaques par déni de service et des «bots», malveillants, ces programmes qui mènent des attaques sur internet. Autant de spécialités complémentaires de celles de Thales dans les logiciels et le cryptage, les clés de chiffrement et les modules de sécurité. Imperva apporte également ses centres d’ingénierie aux États-Unis (58 % de ses ventes), au Canada, en Inde et en Israël et un portefeuille de 6 000 grands clients dans 180 pays. Une complémentarité qui doit générer 110 millions de dollars de synergies récurrentes à partir de 2028.

Imperva va être intégrée au sein de la division identité et sécurité (DIS) de Thales, qui chapeautera l’ensemble des activités civiles cyber du groupe. DIS doit en effet aussi intégrer la pépite cyber australienne Tesserent, dont l’acquisition a été annoncée mi-juin. Dès le début 2024, Thales va simplifier l’organisation de son activité cyber. Il prévoit de transférer à DIS ses 11 centres de supervision cyber (veille active, identification des signatures de hackeurs, tests de sécurité et solutions pour contrer les cyberattaques, etc.), actuellement logés dans sa division défense et sécurité. En revanche, les activités cyber militaires resteront dans la branche défense.

En un peu moins de dix ans, Thales est devenu un acteur mondial de la cyber, une activité qui pesait quelque 350 millions en 2014. Cela en jouant la double carte de la croissance organique et des acquisitions ciblées. Avant Imperva, le mouvement stratégique le plus structurant depuis le rachat de l’ex-Gemalto (rebaptisé DIS) pour 4,8 milliards d’euros en 2019, le groupe a racheté huit pépites cyber, dont Vormetric aux États-Unis, S21Sec, Excellium et OneWelcome en Europe et Tesserent en Australie. Cette force de frappe offre à Thales l’occasion de simplifier son offre avec des produits et solutions intégrés, avec une composante d’Intelligence artificielle (IA). «Les responsables de la sécurité des systèmes d’information peuvent avoir affaire à une trentaine, voire une cinquantaine, de prestataires cyber et cherchent à en réduire le nombre grâce à des produits couvrant un spectre plus large», relève Patrice Caine.

Cela, alors que la menace cyber croît de façon exponentielle. Depuis janvier 2023, la seule société Imperva a bloqué 40 milliards de cyberattaques par mois, lancées contre des applications sur le web. Des attaques qui prennent en outre de nouvelles formes avec l’utilisation de l’IA et de l’IA générative (ChatGPT notamment) par les cyber-criminels. Le coût mondial de ces attaques cyber tournera autour de 10 000 milliards de dollars dans les prochaines années, selon une étude du cabinet McKinsey.

L’acquisition d’Imperva (500 millions de ventes, 1 400 salariés) renforce également l’empreinte de Thales aux États-Unis, où le groupe est présent dans 22 états, et, plus largement en Amérique du Nord, qui générera près de 4 milliards d’euros de revenus, avec 6 200 salariés, à partir de 2024. La région devient le deuxième marché de Thales, après la France. Avec Imperva, Thales devient le partenaire cybersécurité de 35% des plus grandes entreprises américaines, répertoriées dans le classement «Fortune 100». Que ce soit dans le secteur financier avec notamment JP Morgan, dans les télécoms avec par exemple Verizon, les services ou encore la santé.

Ces dernières années, la montée en puissance du groupe outre-Atlantique se reflète aussi dans son flottant (45, 21% de son capital) en Bourse. «Les investisseurs américains connaissent de mieux en mieux Thales qui est devenu une valeur recherchée. Désormais, près de 50% de notre capital flottant est détenu par des investisseurs nord-américains », détaille Patrice Caine.

Thales s’est déployé dans tous ses métiers outre-Atlantique, de la défense à la cybersécurité, en passant par l’identité, l’aéronautique et le spatial. Dans ce dernier domaine, Thales veut se renforcer. Certes, via Thales Alenia Space, sa filiale commune avec l’italien Leonardo, Thales vend des satellites aux opérateurs de télécoms et participe à Artemis, via la contribution de l’Agence spatiale européenne au programme de retour sur la Lune de la Nasa. Mais Thales a engagé plusieurs projets dans le spatial aux États-Unis. Il a notamment répondu à l’appel d’offres lancé par l’opérateur de satellites de télécoms Intelsat, pour son projet de constellation en orbite moyenne.