Difficile de croire à une simple coïncidence. Au lendemain de la visite remarquée de son fondateur et ex-PDG, Jack Ma, dans la ville de Hangzhou, Alibaba entame une refonte globale de son modèle. Exit le paquebot de 240.000 employés, le mastodonte de la tech chinoise s’apprête à se restructurer en six entités gérées de façon indépendante.
C’est Daniel Zhang, actuel patron de l’entreprise, qui a précisé le projet mardi, dans une lettre aux salariés. Il s’agit d’un virage majeur pour le groupe fondé par Jack Ma et dont il aura été PDG entre 1999 et 2019. Connu en Occident pour sa plateforme d’e-commerce et sa logistique, le groupe chinois a progressivement étendu ses activités à tout le secteur de la tech, notamment dans le cloud et l’intelligence artificielle, les services digitaux, les médias et les divertissements.
À l’avenir, chacune de ses six divisions aura son directeur général, et la capacité d’aller chercher des fonds à travers une cotation en Bourse (à l’exception de Taobao-Tmall, la plateforme d’e-commerce en Chine qui restera détenue à 100 % par Alibaba). «Le marché est le meilleur test, et chaque entité pourra procéder à des levées de fonds indépendantes et à une introduction en Bourse quand elle sera prête à le faire», explique Daniel Zhang dans sa missive. Les marchés, eux, applaudissent dans l’ensemble la nouvelle. «Ce type d’organisation est plus efficace, et permet de dégager plus de valeur en responsabilisant les différentes entités», décrypte Benoit Flamant, responsable action chez Corraterie Gestion.
La précédente organisation avait pourtant permis au géant chinois de tutoyer les sommets. En l’espace de dix ans, le chiffre d’affaires du groupe est passé de 3 milliards à 134,5 milliards de dollars pour l’année achevée en mars 2022.
Mais, depuis maintenant deux ans, les voyants ont basculé dans le rouge. La capitalisation boursière d’Alibaba a fondu de 840 milliards à 230 milliards entre octobre 2020 et aujourd’hui. Une conséquence du ralentissement global de la tech ainsi que des restrictions sanitaires en Chine, qui ont largement pénalisé l’activité e-commerce, qui pèse 70 % des revenus. Les derniers trimestriels publiés par le groupe sont en baisse. Conséquence, près de 10.000 salariés ont été licenciés ces derniers mois. Daniel Zhang, lui, veut croire que la nouvelle organisation saura répondre aux défis. «L’objectif fondamental de cette réforme est de rendre notre organisation plus agile, de raccourcir les délais de prise de décision», explique-t-il. Ce dernier restera à la tête du holding, sans assurer de rôle décisionnel, ainsi qu’à la tête du pôle d’intelligence artificielle.
Ce big-bang est également une nouvelle manifestation de la reprise en main des géants de la tech par Pékin. Depuis plusieurs années, le gouvernement communiste fait tout pour éviter la concentration capitalistique dans les mains de quelques acteurs. Jack Ma en sait quelque chose. S’étant attiré les foudres du régime, le fondateur d’Alibaba s’était successivement vu refuser la mise en Bourse de sa filiale des paiements, Ant Financial, avant de devoir lâcher tout contrôle de l’entreprise. La réapparition soudaine du milliardaire ce lundi après de longs mois d’exil a, certes, été perçue par certains comme un signal d’apaisement pour le secteur privé. Mais la réorganisation annoncée par Alibaba ce mardi laisse peu de place au doute: Pékin tient plus que jamais la barre.
«La question du démantèlement des géants de la tech est à l’agenda des politiques ici aussi, en Europe, et aux États-Unis. La différence, c’est la vitesse avec laquelle les Chinois avancent», note Benoit Flamant. Selon l’expert, ce mouvement pourrait trouver un écho chez Baidu ou encore Tencent.