Prévenir la dette de sommeil est un enjeu de sécurité routière et de certains métiers à risque. Or seulement 15% de la population adulte atteindrait les recommandations de 7 à 9 heures de sommeil au moins cinq nuits par semaine, révèle une étude parue en février dans la revue Sleep Health. D’où l’intérêt suscité par les récents travaux de chercheurs australiens : ils sont parvenus à identifier des molécules caractéristiques d’un manque important de sommeil dans le sang des personnes concernées.
Pour cette étude parue dans Science Advances, 23 jeunes adultes en bonne santé avec un rythme régulier de sommeil ont été mobilisés. Les volontaires ont donné de leur personne : 40 heures d’éveil continu, suivies d’une phase de sommeil de 8 heures. Toutes les deux heures pendant la phase d’éveil, ils subissaient une prise de sang. Dans ces prélèvements, les chercheurs se sont intéressés aux métabolites sanguins, ces molécules issues de l’activité des cellules de l’organisme dont on sait que les concentrations varient selon la fatigue de l’individu. Cinq molécules, dont la vanilline 4-sulfate et l’indole 3-propionate, dont se sont révélées fiables à 99,2% pour signaler une privation de sommeil de 24 heures.
En dehors des métabolites sanguins, d’autres paramètres physiologiques peuvent signer un manque de sommeil comme la stabilité de la pupille, le clignement lent des yeux ou encore la présence de microsommeils. Mais «les méthodes physiologiques ne fonctionnent que jusqu’à un certain point», explique Patrick Lévy, professeur de pneumologie spécialisé dans l’apnée du sommeil à l’hôpital universitaire de Grenoble. «Les métabolites [étudiés par l’équipe australienne] pourraient préciser le diagnostic de dette de sommeil notamment chez les personnes souffrant de troubles chroniques du sommeil, ou dans des situations où la vigilance est critique». Ces métabolites pourraient, par exemple, être utilisés pour tester les personnes qui prennent des postes à risques dans une centrale nucléaire, imagine-t-il.
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Le secteur routier pourrait aussi bénéficier d’avancées en la matière. La somnolence est l’une des premières causes d’accidents mortels des chauffeurs professionnels sur l’autoroute, selon le conseil national de la sécurité routière. En effet, «les conséquences des dettes de sommeil sont multiples, les plus visibles se manifestent sur le fonctionnement cérébral avec une diminution des capacités cognitives, de l’attention et une augmentation du temps de réponse», explique le Pr Lévy. Des études révèlent que conduire après une nuit blanche équivaut à prendre la route avec une alcoolémie de 0,9 g/L de sang, soit au-delà de la légalité. Le professeur Damien Léger, président du conseil scientifique de l’institut national du sommeil et de la vigilance, rapporte sur le site la sécurité routière que « dès les premiers signes de somnolence, le conducteur doit s’arrêter parce que les risques d’avoir un accident dans la demi-heure qui suit sont multipliés par 3 ou 4».
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Si les perspectives sont intéressantes, les recherches restent préliminaires et ce n’est pas demain que l’on se verra proposer un test moléculaire de la dette de sommeil façon éthylotest. «Étant donné qu’il s’agit de sang, le test est peu exploitable dans un contexte routier, explique Katerine Jeppe, qui a dirigé l’étude. Toutefois des travaux futurs pourraient examiner si nos métabolites, et donc les biomarqueurs, sont détectables dans la salive ou dans l’air expiré».