Un enfant dans un bras, les courses dans l’autre, qui n’a jamais rêvé de posséder un troisième appendice pour ouvrir la porte d’entrée de la maison ? Réjouissez-vous: posséder un bras robotique et le contrôler avec son diaphragme, c’est désormais possible ! Ou presque… Des chercheurs ont développé une interface numérique permettant de capter les mouvements du muscle situé sous les dernières côtes, pour contrôler ce bras supplémentaire.
Et pour devenir cet humain augmenté, pas besoin de chirurgie ! C’est ce que montre une étude publiée dans Science Robotics en décembre 2003 par des chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).Une ceinture respiratoire placée sur la partie supérieure des abdominaux capte les mouvements du diaphragme, et les transmet au moteur du 3e bras. Lors de la contraction volontaire du muscle diaphragmatique, le bras robotique s’allonge; à l’inverse, lors du relâchement musculaire il se rétracte en position de repos. L’humain est capable de s’adapter et d’allouer une partie du cerveau à cette nouvelle fonction.
Dans des travaux précédents, les pieds et/ou les jambes étaient affublés de capteurs permettant de dompter un membre supplémentaire. Mais cela limitait l’utilisation normale de ces bras ou jambes. Il fallait donc trouver un organe possédant des capacités de contraction, mais peu ou pas exploitées par l’organisme, afin que son utilisation n’entrave pas les autres fonctions du corps.
Le diaphragme est un muscle situé sous les dernières côtes séparant le thorax et l’abdomen. Il est utilisé lorsque nous respirons «par le ventre» : la contraction réflexe de ce muscle entraîne l’entrée d’air dans les poumons lors de l’inspiration. Son relâchement assure l’expiration, la sortie de l’air. Mais la plupart d’entre nous utilisent plutôt la ventilation thoracique, en contractant les muscles costaux et intercostaux. Le diaphragme est donc peu exploité au quotidien, le laissant en partie libre pour être utilisé par la robotique.
Afin d’ajuster le dispositif, l’expérimentation a débuté avec un casque de réalité virtuelle. Il fallait d’abord s’assurer que le cerveau était capable de gérer un troisième bras, tout en utilisant les deux déjà existants. Le capteur placé au niveau du diaphragme pilotait un bras visible sur l’écran du casque, et le participant devait atteindre différentes cibles avec chacun de ses trois bras; détail amusant: la «main» virtuelle était dotée de six doigts et parfaitement symétrique, pour que l’utilisateur ne privilégie pas la droite ou la gauche de son cerveau…
Ils y ont ajouté un autre élément. À tout instant, nous savons positionner nos membres dans l’espace (c’est la proprioception), et notre cerveau reçoit des informations sur ce que nous touchons (c’est le retour sensitif). Ces sens sont indispensables à la modulation des mouvements de nos membres, afin de les rendre précis. Un dispositif sensoriel disposé sur la poitrine du volontaire lui donnait des indications sur la position du bras robotique (plus il était tendu, plus une pression s’appliquait sur la poitrine, et le saisissement de l’objet visé déclenchait une vibration).
Les chercheurs ont ensuite placé un bras robotique fixé au thorax du volontaire par un harnais, et piloté par son diaphragme. Le dispositif de retour sensitif par pression et vibration sur la poitrine n’a en revanche pas été utilisé dans la version réelle du bras robotisé, car il n’apportait pas vraiment d’amélioration dans les performances.
Les chercheurs montrent que malgré quelques erreurs de direction du bras, notamment lorsque la personne doit parler en même temps ou visualiser des formes différentes dans son environnement, l’utilisation de ce 3e bras n’entrave globalement pas la capacité à parler et à voir son environnement. Le maintien de ces capacités est indispensable pour une augmentation humaine efficace. La charge mentale imposée par ce bras surnuméraire est cependant bien présente, en particulier à la première utilisation.
Restera en outre à s’interroger sur l’utilité de ce troisième bras… Les chercheurs pensent que cette technique pourrait servir aux personnes amputées ou tétraplégiques, mais ils imaginent aussi son utilisation pour l’humain augmenté. « J’utilise la technologie pour compenser les personnes amputées. Je ne travaille pas sur l’humain augmenté mais pour l’humain soigné. Je n’opérerai jamais quelqu’un pour l’augmenter », juge pour sa part le Dr Edward de Keating-Hart, chirurgien de la main à la Clinique Jules Verne de Nantes et précurseur de la chirurgie des prothèses bioniques en France. En revanche concède-t-il, ce type de dispositif pourrait permettre à des « personnes tétraplégiques, via des mouvements du cou ou des muscles des oreilles, de répondre au téléphone ou d’utiliser une tablette afin d’être moins dépendant ».