Ce ne sont pas des embryons humains mais ils s’en rapprochent. Créés artificiellement pour les besoins de la recherche, les « embryoïdes » constituent une révolution scientifique fulgurante qui pousse désormais certaines autorités sanitaires à établir de premières règles. « Les embryoïdes permettent des avancées scientifiques et médicales » mais ils présentent des « risques de dérive (qui nécessitent) de mettre en place une régulation », a estimé l’Agence française de biomédecine dans un avis rendu mercredi.

C’est la première fois dans le monde qu’une autorité publique de régulation prend position sur un domaine de recherche qui apparaissait encore récemment comme de la science-fiction mais connaît un développement fulgurant depuis quelques mois.

Ces embryoïdes sont des assemblages cellulaires qui reproduisent le fonctionnement et le développement d’un embryon, sans avoir eu besoin d’aucune fécondation. Depuis cette année, plusieurs équipes de chercheurs sont parvenues à développer de tels simili-embryons à partir de cellules humaines, une première scientifique d’une rare ampleur. Car, au-delà de la prouesse technique, les enjeux sont considérables d’un point de vue médical. Les embryoïdes permettent potentiellement de bien mieux comprendre les premiers jours d’un embryon, une période dont les mécanismes restent très mystérieux.

Mais cette accélération soudaine de la recherche pose aussi de nombreux problèmes éthiques, à commencer par le statut même des embryoïdes : doit-on juste les considérer comme des amas de cellules ou peut-on parler de réels embryons «de synthèse», portant en eux le potentiel d’un être humain ? En l’état de la recherche, ces questionnements sont très théoriques, les modèles embryonnaires restant approximatifs et incapables de survivre plus de quelques jours. Mais nombre de chercheurs, notamment au sein de la Société internationale de recherche sur les cellules souches (ISSCR), s’engagent d’ores et déjà pour définir un cadre réglementaire, souvent moins par appétit de coercition que pour prendre les devants sur un sujet qui promet de créer de vives polémiques politiques et sociétales.

« Est-ce qu’il faut créer un encadrement ? Tous les cénacles scientifiques le recommandent », a rapporté à l’AFP le neurobiologiste Hervé Chneiweiss qui travaille, au sein de l’Inserm, à des pistes de recommandations internationales. « Plus ces modèles ressembleront à (des embryons), plus ça soulèvera des questions éthiques qu’il faut résoudre », a-t-il expliqué, évoquant par exemple le risque – certes « fantasme absolu » à l’heure actuelle – que des chercheurs tentent un jour d’implanter un simili-embryon chez une femme pour déclencher une vraie grossesse.

Mais, au-delà de la nécessité générale d’établir des règles, le monde scientifique peine à s’accorder dans les détails, vu le caractère très mouvant de ce domaine scientifique. « Il reste de nombreuses questions sans réponses », soulignait une étude, publiée en août dans la revue Stem Cell Research

Dans les faits, aucun pays n’a adapté sa législation. Cas exceptionnel, le gouvernement néerlandais y réfléchit mais le sujet n’a aucune chance d’aboutir vu les désaccords sur le sujet au sein des partis de la majorité – libéraux, progressistes et chrétiens-démocrates -, d’autant que de nouvelles élections sont imminentes.

C’est dans ce contexte qu’intervient l’avis de l’Agence de biomédecine qui chapeaute en France les recherches sur les cellules souches. Bien qu’il soit officiellement dénué de statut réglementaire, il va, de fait, poser un cadre aux recherches à venir dans le pays puisque tout chercheur devra solliciter l’autorisation de l’agence pour travailler sur des embryoïdes. Elle se prononce pour créer un statut intermédiaire entre les recherches sur les embryons humains, extrêmement encadrées, et celles sur les cellules souches, trop «permissives» dans le cas des embryoïdes, selon elle.

Cela impliquerait par exemple de ne pas développer des embryoïdes au-delà de quatre semaines, le seuil étant fixé à deux semaines pour les embryons réels. L’idée est de rester très loin de « la période d’apparition du ressenti de la douleur », sans parler « de la conscience ». Et, à terme, « leur implantation in vivo doit demeurer proscrite », insiste l’agence, se refusant à établir une quelconque équivalence entre embryoïdes et embryons.