Parmi les pistes suivies pour répondre au défi du manque de greffons, celle de la « xénogreffe » (greffe d’un organe provenant d’une autre espèce) vient de franchir une étape historique. Pour la première fois, un rein provenant d’un cochon a été transplanté avec succès sur un patient humain en insuffisance rénale terminale. Ce dernier devrait bientôt pouvoir rentrer chez lui, a annoncé jeudi le Massachusetts General Hospital (MGH), où la prouesse a été réalisée.
À 62 ans, Rick Slayman souffrait depuis longtemps de problèmes rénaux dus à son diabète de type 2 et à son hypertension. Une première greffe rénale « classique » lui avait permis de se passer de dialyse pendant 5 ans, mais la détérioration du greffon l’a remis en mai 2023 sur la longue liste des candidats à une nouvelle transplantation. C’est alors que son néphrologue lui a proposé une alternative : accepter le rein d’un porc modifié génétiquement pour être toléré par l’organisme humain. De tels organes avaient déjà été transplantés, et avaient fonctionné, sur des humains… en état de mort cérébrale.
L’opération conduite par l’équipe des Dr Leonardo Riella, Tatsuo Kawai et Nahel Elias a duré quatre heures. Le greffon utilisé provient d’un porc élevé par l’entreprise spécialisée eGenesis à Cambridge, qui collabore depuis plusieurs années avec le MGH sur le sujet. Leurs recherches conjointes menées sur des singes greffés de reins de porc avaient été présentées en octobre dans Nature. Les porcs élevés par eGenesis sont génétiquement modifiés à l’aide de la technique d’édition génomique Crispr Cas-9 afin de débarrasser l’organe des rétrovirus propres aux porcs pouvant infecter les humains, mais aussi pour retirer certains gènes porcins et ajouter des gènes humains. Pas moins de 69 modifications sont nécessaires pour que l’organe soit ainsi toléré par un organisme humain.
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« Pour moi, c’était à la fois une opportunité [d’aller mieux], mais aussi un moyen de donner l’espoir à des milliers de personnes en attente d’une greffe pour survivre », a déclaré le patient dans un communiqué du MGH. L’équipe médicale a de son côté salué le « courage » de ce pionnier. «Le succès de cette greffe est l’aboutissement des efforts de milliers de scientifiques et médecins depuis plusieurs décennies», a ajouté Tatsuo Kawai, chirurgien au Massachusetts General Hospital.
«C’est extraordinaire, spectaculaire», salue le Pr Christian Combe, néphrologue et président de la Fondation du rein, tout en rappelant qu’il «faut nécessairement rester prudent puisque nous n’avons que cinq jours de recul à ce stade». «Leurs travaux montrent qu’ils ont maximisé la compatibilité immunologique entre l’homme et le cochon, ils se sont donné beaucoup de chances pour que cela fonctionne», souligne-t-il.
La toute première greffe d’un organe animal humanisé a eu lieu en janvier 2022 dans le Maryland aux États-Unis. David Bennett avait reçu le cœur génétiquement modifié d’un porc qui avait fonctionné sur lui correctement pendant sept semaines, avant de se détériorer, conduisant au décès du patient.
« Le porc a de nombreux avantages : c’est un animal relativement simple à élever, qui grandit rapidement et présente des organes de taille similaires à ceux d’un adulte humain en environ six mois, explique le Pr Sébastien Dharancy du CHU de Lille, responsable de l’activité de greffe dans la région lilloise, qui n’a pas participé à ces recherches. En outre, ils présentent des similitudes physiologiques et anatomiques avec les humains ». « Le rein a un important rôle de régulation de la composition du corps en eau et en sel. Or il existe une compatibilité intéressante entre les récepteurs hormonaux des cochons et les hormones humaines impliquées dans ce mécanisme », ajoute le Pr Combe.
En France, 3377 greffes de rein ont été réalisées en 2022, mais 9800 patients figuraient encore sur la liste d’attente active au 1er janvier 2023.