Vous pensiez avoir 43 ans ? C’est en tout cas l’âge qu’on vous donne… mais peut-être pas celui de votre foie ou de votre cœur. Car tous nos organes ne vieillissent pas à la même vitesse. Ils s’usent, en fait, au rythme d’une horloge biologique qui leur est spécifique, sous l’influence notamment de notre environnement et de nos modes de vie (tabagisme, alcool, cholestérol, surpoids…). Ainsi, l’âge chronologique d’une personne, qui reflète le nombre d’années écoulées depuis sa naissance, ne correspond pas nécessairement à son âge biologique, celui qu’a réellement son corps.

C’est pourquoi certains individus sont susceptibles de souffrir très précocement de maladies qui apparaissent normalement avec l’âge, comme une insuffisance cardiaque. Ce constat a conduit de nombreuses équipes à mettre au point des techniques pour estimer le vieillissement biologique des individus dans l’idée de pouvoir prédire ces maladies, voire inverser leur progression par des interventions anti-âge. En utilisant une approche par intelligence artificielle, une équipe de l’université de Stanford, aux États-Unis, a montré qu’il était possible de déterminer l’âge de nos organes à partir de simples analyses sanguines. Les résultats sont parus dans Nature Communications.

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Pour parvenir à cette conclusion, les scientifiques se sont intéressés aux protéines contenues dans le sang de 5678 participants âgés de 20 à 90 ans. «Nos organes relarguent en effet de nombreuses protéines qui se retrouvent dans le plasma. En les quantifiant, il est possible de déterminer leur nature et donc d’où elles proviennent, ce qui en fait de bons indicateurs de l’activité de nos organes», explique Éric Gilson, directeur de l’institut de recherche sur le cancer et le vieillissement de Nice. Grâce à l’analyse de près de 5000 protéines circulantes, les chercheurs ont ainsi identifié que 900 d’entre elles étaient spécifiques d’un organe parmi le cœur, le poumon, le rein, le foie, le muscle, le pancréas, le cerveau, l’intestin, le système vasculaire, le système immunitaire et la graisse. En absence de données connues, ils ont considéré qu’une protéine provenait d’un organe donné si son expression était au moins 4 fois plus élevée dans cet organe que dans les autres.

Ils ont ensuite construit une IA capable d’estimer l’âge biologique des organes de chaque participant afin de déterminer s’ils subissaient un vieillissement accéléré par rapport à l’âge réel des individus. Pour cela, ils ont nourri l’algorithme avec les niveaux de protéines mesurés dans le sang des participants. En comparant la composition de ces protéines chez les individus de même âge, l’IA détectait automatiquement ceux qui présentaient un niveau de protéines aberrant pour un organe spécifique. L’IA fournissait alors un «écart d’âge», c’est-à-dire une mesure de la différence entre l’âge biologique d’un organe et l’âge civil de l’individu. «Si pour un organe d’un individu donné, cet écart d’âge était supérieur à la moyenne du groupe d’individu du même âge, alors cela signifiait que cet organe vieillissait plus rapidement», indique le Pr Gilson.

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Premier enseignement: 18,4% des personnes âgées de 50 ans ou plus avaient au moins un organe qui vieillissant significativement plus rapidement que le moyenne tandis que 1 personne sur 60 (soit 1,7%) présentait un vieillissement accéléré dans plusieurs organes. «Ce qui est intéressant est qu’en plus, les chercheurs ont découvert que les écarts d’âge identifiés pour tous les organes étudiés, sauf l’intestin, étaient significativement associés au risque de décès toutes causes confondues», explique Miria Ricchetti, directrice du groupe de recherche Mécanismes moléculaires du vieillissement pathologique et physiologique à l’institut Pasteur.

Selon ces estimations, le vieillissement précoce d’un organe entraînerait une augmentation de 15 à 50% du risque de mortalité au cours des quinze années suivantes, en fonction de l’organe touché. Les participants dont le cœur vieillissait de manière prématurée par rapport à la moyenne seraient 2,5 fois plus susceptibles de développer une insuffisance cardiaque. Ceux qui présentaient un vieillissement cérébral accéléré seraient exposés à un risque de déclin cognitif 1,8 fois supérieur tandis que le fait de posséder un rein «plus vieux» que la normale augmentait le risque d’hypertension et de diabète.

Des résultats surprenants, qui posent une question: pourrons-nous, à l’avenir, nous présenter au laboratoire d’analyse pour estimer le vieillissement de nos organes, prédire l’éventuelle survenue d’une maladie et prendre toutes les décisions médicales en amont pour éviter qu’elle ne se déclare? L’espoir est pour le moins utopique à ce stade de la recherche. «L’étude est très intéressante car elle suppose l’idée de pouvoir utiliser des biomarqueurs aussi simples que les protéines circulantes pour obtenir une signature diagnostique de l’état des organes et estimer les trajectoires du vieillissement», souligne le Pr Gilson. «La force de cette approche repose sur le fait qu’il est très simple d’obtenir le matériel biologique, à savoir le sang», ajoute pour sa part le Pr Ricchetti.

Néanmoins, s’accordent les spécialistes, ces résultats «très préliminaires» sont davantage une preuve de concept qu’une méthode fiable prête à être utilisée en routine. Plusieurs étapes de vérifications seront nécessaires. Et comme le soulignent les auteurs, l’étude devra être reproduite chez de plus grosses cohortes et impliquer différents groupes ethniques, le patrimoine génétique et les trajectoires de vieillissement pouvant être très variables d’une population à l’autre.