Presque quatre ans après le début de la pandémie, les gestes barrières sont encore bien ancrés dans les esprits. Parmi eux, la distanciation sociale, qui nous invitait à nous éloigner d’un mètre des autres personnes. En tout cas en France… Car ailleurs dans le monde, des distances parfois très différentes ont été adoptées. Les virus voyageraient-ils plus ou moins loin selon les pays?

Dans une récente étude publiée dans Plos One par des chercheurs de l’Institut Jacques Monod, à Paris, et de l’université de Montpellier, ont comparé les pratiques de distanciation dans plus de 190 pays lors de la première vague (2020). Ils ont constaté que 45 % d’entre eux ont préconisé une distance d’un mètre, tandis que 49 % ont opté pour 1,5 à 2 mètres. (Les 6% restants n’ont pas spécifié de valeur exacte). Mais aucun pays n’a revu à la hausse ces distances minimales, même quand plusieurs études ont montré que le SARS-Cov-2 pouvait contaminer un individu situé à plus de 2 mètres d’une personne infectée. Comment ont été choisies ces distances, et cela a-t-il eu une influence sur la course de l’épidémie?

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On sait que les germes infectieux des virus respiratoires, comme ceux de la grippe, de la bronchiolite et du Covid, se transmettent via les gouttes de salive émises lorsque l’on parle, éternue ou tousse. «Lorsque ces gouttelettes retombent sur le sol ou les surfaces, nous sommes parfois amenés à les toucher. Bien que cette voie de contamination soit anecdotique, elle a été retenue par les agences de santé durant la pandémie de Covid pour justifier le lavage des mains et des surfaces», souligne Antoine Flahault, professeur de santé publique à l’université de Genève et directeur de l’Institut de santé globale. Ces mêmes postillons peuvent rencontrer durant leur vol les portes d’entrée de notre organisme (yeux, narines, bouche) ; ils retombent vers le sol dans un rayon d’un mètre, l’OMS a donc préconisé cette distance depuis les années 1950. Mais lors de la pandémie de Covid-19, la contamination par aérosols, c’est-à-dire via des microgouttelettes de salive (moins de cent microns), s’est imposée comme la voie quasi-exclusive de transmission du Covid-19. Plus légères que les postillons, ces microgouttelettes vont plus loin. Et chaque pays a opté pour des recommandations de distanciation très hétérogènes : en Grèce ou au Royaume-Uni, c’est 2 mètres; au Sénégal, 1 mètre ; en Suisse 1,5 mètre.

Mais quel impact ce choix a-t-il vraiment eu sur la progression du virus ? Les chercheurs ont constaté que les pays ayant d’emblée recommandé une distance supérieure à 1 mètre dès la première vague n’ont pas forcément eu moins de transmission du Covid-19. «Nos analyses statistiques n’ont montré aucune corrélation permettant de confirmer que le choix d’une plus grande distance était associé à une transmission plus faible», confirme Virginie Courtier-Orgogozo, directrice de recherche CNRS, qui a dirigé cette étude. «La progression épidémique fait entrer en jeu tellement de facteurs qu’il est utopique, encore aujourd’hui, de parler de distance idéale», affirme Jean-Michel Pawlotsky, virologue au CHU Henri-Mondor (Créteil). Cela dépend de la quantité de germes infectieux que produit une personne malade, qui varie selon la phase d’infection, mais aussi de la taille des gouttelettes émises, de la température extérieure, du degré d’humidité, de la saisonnalité…

Garder ses distances avec un malade n’est pas absurde, car cela limite le risque de contagion ; mais l’effet resterait modeste. «Lorsqu’une personne malade quitte une pièce mal ventilée, le nuage de gouttelettes continue à flotter dans l’air pendant plusieurs minutes ou heures, souligne le Pr Flahault. Or sachant qu’on inhale environ 20 fois par minute, si ce nuage est contaminé avec des germes infectieux, une personne non malade inhale le virus 20 fois par minute passée dans la pièce non aérée. En y restant une heure, c’est comme si on avait été exposé 1.200 fois au virus.» S’éloigner de 1 mètre ou 2 change finalement très peu le risque.

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Mais les données scientifiques n’ont pas été le seul paramètre pris en compte dans la définition des distances à respecter, ont constaté les chercheurs. Système juridique, monétaire et pratiques culturelles ont aussi eu une influence. «Indépendamment de la pandémie, la proximité entre deux individus varie considérablement en fonction des relations, de l’âge et surtout de la culture. Cette signature culturelle semble expliquer le choix des distances de sécurité», explique le Pr Courtier-Orgogozo. Les scientifiques ont ainsi constaté que dans les pays où les personnes sont physiquement plus proches dans le contexte familial, les distances recommandées avaient tendance à être plus faibles. C’est notamment le cas de l’Italie, qui a préconisé une distance de 1 mètre.

Un constat qui n’est au fond «absolument pas» étonnant pour le Pr Pawlotsky. «Au contraire, cela est rassurant de constater qu’il y a une réflexion beaucoup plus globale et compatible avec les modes de vies de chacun.» «Les auteurs soulignent, à juste titre, que fournir une valeur précise à l’ensemble des citoyens facilite la compréhension du message, bien que la valeur en elle-même soit relativement arbitraire. Aujourd’hui on a presque envie de dire que le plus loin est le mieux, mais de la même manière qu’on recommande 5 fruits et légumes, 10.000 pas par jour ou 7h de sommeil, il est plus facile de se référer à un seuil», ajoute Antoine Flahault.