Le Dr Michaël Rochoy est médecin généraliste. Il y a deux ans, il listait pour «Le Figaro» dix mesures simples à même de soulager les médecins de tâches chronophages, qui obèrent le temps qu’ils peuvent consacrer aux patients. Aujourd’hui, il les maintient, mais constate que bien peu a été fait pour débureaucratiser la médecine et alléger l’emploi du temps de ceux qui nous soignent.

Obtenir un rendez-vous avec votre médecin généraliste est difficile aujourd’hui. Demain, ce sera pire: selon un rapport de la Drees de mars 2021, la densité médicale standardisée sur le vieillissement de la population va s’aggraver avant de retrouver son niveau actuel vers 2030. Pour assurer aux patients les soins dont ils ont besoin, il nous faut du temps médical.

L’accès aux soins questionne, mais les réponses données sont toujours celles de politiciens et administratifs qui estiment à tort savoir comment les professionnels de santé doivent travailler. Ainsi dans un rapport publié en septembre 2021, deux sénateurs recommandaient d’augmenter les interactions des médecins avec les administrations locales et régionales (agences régionales de santé), sans se soucier du fait que cela se ferait au détriment du temps dédié aux soins. Ils recommandaient de poursuivre ce qui existe déjà (incitations financières, création de maisons de santé, etc.) et d’envisager «d’adopter des mesures coercitives aménageant le principe de liberté d’installation».

En réalité, ce n’est pas seulement de médecins dont nous manquons: nous manquons surtout de temps médical. Voici dix idées pour améliorer cette situation.

Les médecins généralistes n’ont pas à être des «contrôleurs» de l’Assurance-maladie, en vérifiant que les infirmiers et les auxiliaires de vie ne fraudent pas lorsqu’ils déclarent réaliser des soins d’hygiène corporelle. Ces professionnels sont à même de connaître les soins qu’ils prodiguent et leur pertinence. La validation par signature du médecin généraliste sur chacun de leur acte est une insulte à leur intégrité.

Les médecins généralistes n’ont pas non plus à contrôler des sociétés d’ambulance pour le compte de l’assurance maladie. Si un patient doit se rendre d’un point A à un point B pour des soins, cela doit être considéré comme justifié a priori et l’assurance maladie peut réaliser des contrôles a posteriori si elle souhaite embaucher du personnel à cette fin.

Dans la majorité des cas, les certificats d’absence parentale réalisés par les médecins pour les journées prévues dans le contrat de travail du parent, ne sont que des papiers assurant que celui-ci a signalé que l’enfant a été malade à son médecin, sans forcément avoir eu besoin de ce dernier pour le soigner. Cela n’a donc aucun intérêt médical.

Cela permettrait aux personnes les plus modestes, souvent les plus exposées à des métiers pénibles, de pouvoir s’arrêter précocement tout en bénéficiant d’indemnités journalières pour lesquelles ils cotisent mensuellement (et couvrant 60 % de leur revenu habituel), plutôt que de s’arrêter trop tardivement lorsque des soins longs et coûteux deviennent nécessaires.

Les aléas médicaux du quotidien (gastro-entérite, fièvre isolée, dysménorrhée, lombalgie aiguë, etc.) peuvent justifier un arrêt de travail de 1 à 3 jours, sans nécessiter le recours à un médecin généraliste. Là encore, ces derniers n’ont pas à être des «contrôleurs» pour le compte de l’Assurance-maladie de la bonne foi des assurés.

Il arrive très régulièrement que les assureurs, au moment d’indemniser un cotisant, s’intéressent soudainement à l’ensemble de ses antécédents. Ces démarches sont abusives, chronophages et offensantes pour les patients.

Les patients en situation de handicap ou en perte d’autonomie doivent s’adresser à leur médecin pour des démarches qui relèvent d’une prise en charge sociale et non médicale. S’il est impossible de former rapidement des dizaines de milliers de médecins, on pourrait en revanche former des professionnels dédiés à ces questions sociales indispensables, pour aider au maintien à domicile ou à l’institutionnalisation, ou par exemple pour octroyer rapidement un bloc-notes braille à une personne malvoyante, sans qu’elle ait à attendre un certificat médical et 3 à 6 mois de délais pour le traitement de son dossier.

Infirmiers (et infirmiers de pratique avancée), pharmaciens, kinésithérapeutes, orthophonistes, podologues, doivent pouvoir prendre en charge un certain nombre de soins en autonomie selon leurs compétences: vaccinations recommandées selon le calendrier en vigueur (par les infirmiers et pharmaciens), renouvellement annuel de lit médicalisé (par les pharmaciens ou les spécialistes de matériel médical), prescription de semelles orthopédiques (par les podologues), renouvellement de séances d’orthophonie, prescription de substituts nicotiniques (aujourd’hui fermée aux pharmaciens, diététiciens et même aux tabacologues non médecins!)… Or trop de ces actes nécessitent encore aujourd’hui des prescriptions de «contrôle» par des médecins, qui sont des affronts aux compétences et à l’intégrité des autres professionnels de santé.

Psychologues et diététiciens ont des compétences propres, mais le fait que leurs consultations ne soient pas prises en charge par l’Assurance-maladie fait que pour certains patients qui ne peuvent pas les financer, leur rôle est délégué aux médecins généralistes.

Le système de santé comporte plusieurs branches, plusieurs régimes d’Assurance-maladie, et d’innombrables mutuelles et assurances. Le système est complexe et il a été montré que cette complexité était coûteuse. Durant la pandémie de Covid-19, nous avons pu constater qu’en situation d’urgence, seule l’Assurance-maladie a pris en charge les soins et dispositifs médicaux (délivrance de masques, remboursement de tests PCR, des téléconsultations, etc.), tout comme elle prend en charge les soins de ceux ayant les revenus les plus faibles (complémentaire santé solidaire) ou nécessitant des soins longs et coûteux (affections longue durée). Ainsi, la simplification serait une mesure d’économie bienvenue.

Dans une démographie médicale en berne, il est temps d’arrêter d’utiliser du temps médical pour «contrôler» que les infirmiers, kinésithérapeutes, ambulanciers, pharmaciens, salariés et parents ne sont pas des fraudeurs, et de mieux déléguer certaines tâches. C’est à ce prix qu’on pourra redonner du temps médical et améliorer un peu l’accès aux soins sur le territoire, ce qui permettra aussi de développer la téléconsultation pour les endroits les plus déserts du pays, à défaut de mieux. Bien sûr, il est aussi possible de ne rien retenir et de proposer de déshabiller un désert pour en rhabiller un autre. Ça ne servira à rien, mais au moins ça sera facile à défendre.