Sur les scènes de crimes ou de délits, les empreintes digitales ont un intérêt limité si elles ne sont pas retrouvées en quantité suffisante. D’où l’intérêt de chercher d’autres indices. Pourquoi pas les odeurs ? Variant en fonction de l’âge, de l’alimentation ou encore de l’état de santé, le parfum corporel en dit long sur notre identité. Plusieurs études ont également suggéré que ces traces invisibles différaient selon notre sexe, sans pour autant démontrer cette association. À partir des fragrances émanant des mains de plusieurs personnes, une équipe de chercheurs américains de l’université de Floride aux États-Unis a pourtant réussi à prédire leur sexe avec une précision quasi parfaite. «Cela pourrait changer la trajectoire de la façon dont nous utilisons actuellement l’odeur humaine dans le domaine de la police scientifique», écrivent Chantrell Frazier et ses collègues, chimistes et auteurs de l’étude.

Dans cette étude publiée dans PlosOne le 5 juillet, les scientifiques ont cherché à savoir si les caractéristiques olfactives des mains étaient suffisamment fiables pour livrer de précieuses informations sur le sexe de leurs hôtes. L’idée est aguichante car, dans le cadre d’enquêtes policières pour vol, agression ou encore viol, les mains sont souvent impliquées… Mais alors, d’où proviennent les odeurs de nos mains ? Quand elles ne sont pas liées à l’usage de produits chimiques (cosmétiques, désinfectant, savon etc.), d’aliments ou à l’hygiène, les odeurs de la paume sont attribuables à l’action de milliards de bactéries qui se nourrissent des cellules de peau mortes ou encore de la sueur qu’elles dégradent en composés organiques volatils (COV), c’est-à-dire les odeurs.

Mais ce n’est pas tout. Nos cellules contiennent des molécules du Complexe Majeur d’Histocompatibilité (CMH) qui sont connues pour leur rôle dans les réponses immunitaires mais qui sont aussi qualifiées de «porteuses d’odeurs». Plusieurs études ont notamment montré que les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes profils de CMH et que, par conséquent, leur signature olfactive est bien distincte. D’où l’idée que l’on puisse discriminer les sexes selon les odeurs corporelles : «Finalement, l’originalité de cette nouvelle étude est d’avoir conforté cette idée grâce à de simples analyses à partir des prélèvements d’odeurs de mains d’humains des deux sexes», commente Olivier Delémont, professeur en science forensique à l’École des sciences criminelles de l’université de Lausanne.

Pour le montrer, les auteurs ont prélevé les COV présents sur les paumes de 30 hommes et de 30 femmes en tamponnant une compresse de gaze sur leurs mains préalablement lavées. Cela leur a permis d’obtenir un échantillon d’odeurs complet, soustrait aux résidus de nourriture et de produits de beauté. Ils ont ensuite isolé les molécules odorantes de chaque échantillon à l’aide des techniques d’analyse couramment utilisées : la chromatographie gazeuse, qui permet de séparer des molécules volatiles contenues dans un mélange, et la spectrométrie de masse qui permet de les identifier individuellement.

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L’ensemble des caractéristiques olfactives ont ensuite servi à nourrir un algorithme de modélisation. «Les auteurs ont en quelque sorte appris à l’algorithme à reconnaître que le bouquet de composés X provenait de l’échantillon Y, lui-même prélevé chez une femme. En répétant la tâche pour l’ensemble des 60 échantillons, le modèle a pu apprendre que telle ou telle combinaison de composés odorants appartenait au profil femme ou au profil homme», explique Olivier Delémont. Après avoir appris au modèle à reconnaître les échantillons, les auteurs l’ont mis à l’épreuve : ils lui ont donné des échantillons inconnus afin de savoir s’il était capable de les classer dans le groupe homme ou le groupe femme. Et le modèle a réussi à le faire avec un taux de réussite de 96%.

Cela étant dit, pouvons-nous vraiment espérer une potentielle application de l’outil en sciences criminelles, comme l’avancent les auteurs ? «Ce n’est pas gagné», indique le Pr Delémont. Comme tout, la science criminalistique reste faillible en raison d’erreurs de prélèvements ou de manipulations des données. Mais l’un des principaux freins reste que les prélèvements ont été réalisés dans des conditions contrôlées directement sur la paume des individus, qui par ailleurs étaient très propres. «Vous imaginez bien que ces conditions sont loin de la réalité d’une scène de crime. Prenons la comparaison avec une soirée : tous les convives sont amenés à toucher une poignée de porte à plusieurs reprises, si bien que les odeurs présentes sont en réalité un mélange de différentes odeurs auxquelles s’ajoutent un tas d’autres résidus», souligne le professeur en criminalistique.

La deuxième limite est que les odeurs d’une personne sont variables au cours d’une journée, notamment en fonction de ce que l’on mange, des produits appliqués et, de manière plus subtile, selon son état de stress. «Qu’il s’agisse de la victime ou de l’agresseur, en situation stressante, leur odeur ne sera pas la même car leur organisme réagira différemment», explique Olivier Delémont. Cependant, d’autres études ont déjà montré que les odeurs corporelles, mêmes partielles, peuvent donner de nombreux autres indices, sur l’âge et l’origine ethnique par exemple. L’intérêt serait donc de pouvoir combiner l’analyse de différentes empreintes chimiques afin de les utiliser quand d’autres éléments d’enquête font défaut.