Fumer du cannabis s’avère un facteur de risque majeur de cancer du poumon, notamment chez les moins de 50 ans, se sont alarmés les pneumologues réunis le week-end dernier au 27e Congrès de pneumologie de langue française à Marseille. Plusieurs études présentées en avant-première à cette occasion révèlent un phénomène qui a surpris les spécialistes.

«Globalement, le nombre de cancers du poumon diminue en raison de la baisse du tabagisme ces dernières décennies, mais il reste stable chez les jeunes, nous avons donc soupçonné le cannabis d’y contribuer», explique Pauline Pradère, pneumologue à l’hôpital Marie-Lannelongue au Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine).

La première étude, appelée KBP 2020, a porté sur près de 9000 patients diagnostiqués en 2020 dans 82 centres hospitaliers publics, soit 20 % des cancers bronchopulmonaires déclarés cette année-là en France. Cet inventaire de la population touchée, organisé par le Collège des pneumologues des hôpitaux généraux (CPHG) et financé par une douzaine de laboratoires pharmaceutiques ainsi que des associations, fait suite aux précédentes éditions de 2000 et 2010. «Quand, cette année, la consommation régulière de cannabis a été prise en compte, nous avons constaté que les fumeurs de joints déclaraient un cancer beaucoup plus tôt que les autres, à 53 ans en moyenne, contre 68 ans chez les fumeurs de tabac seul et 73 ans chez les non-fumeurs», indique Hugues Morel, chef du service de pneumologie du CHR d’Orléans et président du CPHG.

Ce cancer déclaré plus tôt chez les patients fumeurs de cannabis a aussi été observé dans une étude plus modeste présentée au congrès par le service de pneumologie du CHU de Tours. Avant cela, en 2020, une enquête menée auprès de jeunes opérés pour un cancer primaire du poumon entre 2018 et 2020 dans trois hôpitaux d’Île-de-France avait déjà surpris. «Parmi les 77 patients de moins de 50 ans, 43 % fumaient du cannabis avec leur tabac, 34 % uniquement du tabac, et 23 % n’étaient pas fumeurs, ce qui suggère un risque accru de cancer lié au cannabis», précise le D Pradère, qui a piloté l’étude.

Plusieurs facteurs contribuent à la toxicité particulière du joint de cannabis. Sa fumée contient autant de produits cancérigènes avérés que celle du tabac. Mais le joint étant sans filtre, ces toxiques passent directement dans les poumons, soit l’équivalent de trois cigarettes selon les analyses. Ils arrivent aussi dans les bronches à une température plus élevée que ceux de la cigarette, ce qui accroît leur effet irritant. «Facteur aggravant, leur dépôt dans les poumons est accru par l’inhalation profonde et la rétention de la fumée que pratiquent les fumeurs réguliers pour un effet psychoactif maximum», ajoute Pauline Pradère. Mais même avec cette toxicité accrue, «nous ne savons pas pourquoi le cancer se déclare une quinzaine d’années plus tôt chez les fumeurs de cannabis que ceux de tabac», reconnaît le Dr Morel.

Jusqu’à présent, les effets cancérigènes du cannabis étaient méconnus. Ils ne sont même pas mentionnés sur les sites de l’Organisation mondiale de la santé ou de son centre de recherche sur le cancer, le Circ. Le dernier rapport sur le sujet des académies américaines des sciences, d’ingénierie et de médecine en 2017 avançait même l’absence de lien statistique évident entre le fait de fumer du cannabis et le risque d’avoir un cancer du poumon, contrairement à celui du testicule. «Ce doute était probablement dû à des études épidémiologiques imprécises sur les quantités de cannabis réellement fumées, d’autant plus difficiles à estimer qu’elles sont souvent mélangées à du tabac», note Pauline Pradère. En 2008 pourtant, une étude néo-zélandaise portant sur des fumeurs de cannabis pur avait montré que le risque de cancer du poumon augmentait avec la quantité de joints consommés. Elle avait suscité le commentaire alarmant de deux chercheurs de l’Inserm, mais, étant de petite taille, elle était restée isolée.

Les études épidémiologiques sont aussi complexes à monter du fait des modes de consommation de la drogue et d’une composition des joints qui varient géographiquement. Résultat, aux États-Unis, où la consommation récréative légale de cannabis a débuté en 2014 dans les États du Colorado et de Washington, aucune étude d’envergure n’a été menée pour évaluer son impact sur les poumons des Américains. Sur les vingt et un États qui l’autorisent actuellement, seule la Californie signale sur les produits à base de cannabis le risque accru de cancer du poumon, première cause de mortalité par cancer dans le pays et au monde.

En France, où 4,6 % des moins de 45 ans fumaient régulièrement du cannabis en 2021 selon le dernier baromètre santé de Santé publique France, une première étude prospective de l’effet du cannabis sur le cancer du poumon a été lancée en 2021 par l’Institut national du cancer. Portant sur 150 jeunes atteints de cancer du poumon traités dans les hôpitaux franciliens Marie-Lannelongue, Saint-Joseph et Gustave-Roussy, elle cherche à étudier ce qui différencie les tumeurs des fumeurs réguliers de cannabis de celles des autres patients. La consommation passée de cannabis y est évaluée de manière précise par des auto-questionnaires couplés à des dosages des dérivés du cannabis dans les cheveux. «C’est avec ce genre d’études que nous pourrons déterminer un lien plus précis de cause à effet pour le cancer du poumon», précise Pauline Pradère, à l’origine de ce travail. En attendant, on peut tout de même imaginer que le dépistage national du cancer du poumon par scanner envisagé pour 2030 au plus tôt tiendra compte de ces nouvelles données et intégrera les fumeurs réguliers de cannabis.