À juste titre, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) font peur. Environ 140.000 Français en sont victimes chaque année, et ils sont désormais considérés en Europe comme la première cause de mortalité devant le cancer du sein chez la femme. La forme la plus courante, l’AVC ischémique (80% des cas), résulte de la formation d’un caillot dans les artères cérébrales. En interrompant soudainement le flux sanguin vers le cerveau, il provoque la mort ciblée de neurones, ce qui lorsque le patient survit peut altérer de façon irréversible les capacités cognitives en lien avec la parole, la vision, les mouvements ou encore l’équilibre. Un handicap qui touche la moitié des patients traités.
«Le problème est qu’il n’existe à ce jour qu’un seul traitement des AVC ischémiques aigus. Et parce que son efficacité reste limitée, il est urgent de trouver de nouvelles solutions thérapeutiques», souligne le Pr Charlotte Cordonnier, chef du service de neurologie vasculaire au CHU de Lille. Dans cette folle course aux traitements, le glenzocimab vient de remporter une nouvelle victoire. Initialement développé par une chercheuse française, ce traitement candidat a fait l’objet d’essais cliniques de phase 1 chez des volontaires sains, en 2019. Puis les scientifiques l’ont testé chez des patients dans le cadre d’essais cliniques de phase 1b/2. Bien qu’ils restent encore très préliminaires, les résultats publiés dans The Lancet Neurology apportent les premières preuves de son efficacité chez des malades.
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À ce jour, le traitement des AVC ischémiques consiste à dissoudre le caillot en cause via l’injection, par voie veineuse, d’un médicament qui fluidifie le sang. On parle de thrombolyse. Mais lorsqu’un gros vaisseau est atteint, cette solution n’est souvent pas suffisante. Dans 70 à 80% des cas, une intervention complémentaire par thrombectomie est nécessaire pour extraire le caillot résiduel, résistant à la thrombolyse. Et malgré ces traitements, 54% des patients conservent des séquelles importantes. «L’un des aspects les plus problématiques reste que la thrombolyse favorise les saignements, en augmentant ainsi le risque de handicap», soulève le Pr Cordonnier.
En s’attaquant directement aux cellules du sang qui s’agrègent, le glenzocimab ouvre de nouvelles perspectives de traitement qui permettraient de s’affranchir de cette contrainte. Cet anticorps monoclonal développé par la start-up Acticor Biotech cible une protéine, la glycoprotéine VI (GPVI), impliquée dans la formation de caillots qui ne s’exprime qu’à la surface d’un type de cellules du sang, les plaquettes. «En se fixant spécifiquement à la surface des plaquettes, il les empêche de s’agréger sur la masse déjà formée et minimise ainsi le risque d’obstruction», décrit le Pr Mikaël Mazighi, neurologue à l’hôpital Lariboisière, qui a conduit l’étude.
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Dans cette nouvelle étude, 160 patients originaires de 6 pays (France, Espagne, Belgique, Allemagne, Suisse et Italie) ont reçu le glenzocimab en complément du traitement de référence (thrombolyse associée ou non à la thrombectomie). L’objectif était d’évaluer sa bonne tolérance et de s’assurer que son administration ne s’accompagne pas d’un surrisque hémorragique. Un objectif qui a largement été atteint. «Son effet sur le nombre de décès a même dépassé les attentes», ajoute le Pr Mazighi. En effet, le taux de mortalité des patients ayant reçu le glenzocimab a été réduit de moitié par rapport au groupe placebo (qui n’a reçu que le traitement de référence), passant de 19% à seulement 8%. C’est ainsi la première étude clinique à démontrer une réduction significative de la mortalité de patients souffrant d’un AVC ischémique.
Cette réduction du nombre de décès était liée à la diminution considérable du taux d’hémorragies intracrâniennes, abaissé à 1,8% pour les patients traités contre 7,8% dans le groupe placebo. «Ces résultats sont très encourageants, car cela montre que le glenzocimab, administré en association aux traitements de reperfusion, pourrait non seulement réduire la mortalité mais également le risque d’hémorragies potentiellement graves, commente le Pr Cordonnier. Cependant, avant d’envisager sa commercialisation, d’autres essais incluant plus de patients, avec un plus long suivi, sont nécessaires.»
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À ce jour, deux essais de phase 3 sont en cours. L’un, l’essai ACTISAVE, a été conduit à l’international chez 400 patients et devrait faire l’objet d’une publication au printemps prochain. L’autre, l’essai GREEN, est toujours à l’œuvre. Mené auprès d’une cohorte française, il s’attache plus spécifiquement à tester l’efficacité du glenzocimab sur l’autonomie à trois mois des cas les plus sévères d’AVC ischémique, c’est-à-dire ceux qui ont nécessité une prise en charge d’urgence par thrombectomie. Si ces preuves d’efficacité venaient à se consolider, il faudrait compter au moins cinq ans pour voir le glenzocimab s’ajouter à l’arsenal thérapeutique des AVC ischémiques, estiment les scientifiques. «Puisque chaque minute compte, l’objectif le plus fou serait de pouvoir l’utiliser dès l’ambulance, souligne le Pr Mazighi. Mais chaque chose en son temps. Pour le moment nous devons encore franchir les étapes de développement.»