Une marée humaine noire. Des hommes, la plupart crâne rasé, se tiennent droit debout, en silence. «Garde à vous !», hurle l’un d’entre eux. Tous s’exécutent. «Pour tous les camarades tombés !», reprend-il. «Présent !», hurlent-ils d’une même voix, tandis que des centaines de mains tendues se lèvent, dans un salut fasciste. Tel est le rituel funéraire de l’appel des «camarades» néofascistes italiens, lors d’hommage à des militants décédés.
La scène a lieu dimanche 7 janvier dans la soirée, en périphérie proche de Rome, au sud-est de la capitale, via (rue) Acca Larenzia, devant l’ancien siège du Mouvement social italien (MSI), parti néofasciste créé après la mort de Benito Mussolini. Filmée par des riverains, et partagée des dizaines de milliers de fois sur X (anciennement Twitter), elle choque l’Italie tout entière, 80 ans après la mort du «Duce».
«On se croirait en 1927, il y a cent ans, en pleine époque fasciste», s’émeut ainsi le quotidien de centre gauche La Repubblica. «Rome, Italie, 2024. Une honte d’état», accuse pour sa part le journaliste italien Paolo Berizzi, chroniqueur de ce même quotidien, sur X.
Le rassemblement paramilitaire avait pour but de commémorer la mort, au même endroit, le 7 janvier 1978, de deux jeunes militants du Front de la jeunesse du MSI, Franco Bigonzetti et Francesco Ciavatta, puis, durant les affrontements avec les forces de l’ordre ayant suivi, de celle de Stefano Recchioli, de la droite sociale. L’Italie traverse alors les «années de plomb», période où la violence politique, de l’extrême gauche à l’extrême droite, atteint son apogée à travers de nombreux attentats à la bombe, assassinats ou enlèvements.
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Le rassemblement de dimanche soir a réuni des centaines de personnes, entre «nostalgiques, vieux militants des années 1970 et de nouveaux adhérents à l’extrême droite», rapporte le quotidien de centre droit La Stampa.
Mais ce qui choque plus encore la classe politique italienne, c’est la concomitance de ce rassemblement avec un autre plus tôt dimanche, et bien plus officiel cette fois. En effet, dans la matinée, le président de la région Latium Francesco Rocca (centre droit, élu avec le soutien de la première ministre de droite nationaliste et conservatrice Giorgia Meloni) et le conseiller à la culture de la capitale Miguel Gotor (centre gauche) avaient tenu à une commémoration bipartisane de ces événements. Tous deux ont déposé une couronne de lauriers, toujours via Acca Larenzia, devant la plaque de commémoration officielle.
Depuis ce lundi, dans toute la classe politique, les réactions pleuvent. «Des saluts romains à la commémoration de Acca Larenzia à la présence du président de la région Latium (…). Commémorer les morts est une chose, donner une couverture institutionnelle à un rassemblement fasciste est une autre», a réagi Emanuela Droghei, conseillère régionale et organisatrice du secrétariat du Parti démocrate (centre gauche) de Rome.
La cheffe du parti démocrate (PD) Elly Schlein est à son tour monté au créneau : «Si tu cries : ’Vive l’Italie antifasciste au théâtre, tu es interpellé, si tu vas à un rassemblement néofasciste avec des saluts romains avec des bannières, non. Piantedosi – le ministre italien de l’Intérieur, NDLR – doit clarifier comment cela a pu arriver. Et Meloni n’a rien à dire». Les sénateurs du PD se sont également saisis de l’affaire en interpellant directement le ministre de l’Intérieur, la première ministre et le ministre de la Justice.
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En fin de matinée, déjà empêtré dans la polémique, le secrétaire de Forza Italia (centre droit) et ministre des affaires étrangères du gouvernement de coalition – centre droit et droite nationaliste, conservatrice et souverainiste – de Giorgia Meloni, avait tenté de temporiser : «Nous sommes une force qui n’est certainement pas fasciste, nous sommes antifascistes. Les responsables de ce comportement doivent être condamnés de tous, comme doivent être condamnées toutes les manifestations de soutien à la dictature. Il y a une loi qui prévoit qu’il n’est pas possible de faire apologie du fascisme dans notre pays».
Mais la controverse est loin de s’apaiser. Le vice-président de la chambre des députés Sergio Costa (M5S, antisystème) a quant à lui annoncé qu’il allait déposer plainte auprès du parquet de Rome pour «déterminer si d’éventuels délits ont été commis, parmi lesquels l’apologie du fascisme, durant la commémoration». Dans la foulée, la Digos, l’antiterrorisme italien, équivalent opérationnel de la DGSI, a confirmé avoir transmis un rapport au parquet de Rome. Les magistrats décideront ou non de l’ouverture formelle d’une enquête judiciaire.
En France, le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure ne s’est pas privé pour réagir à son tour : «Georgia (sic) Meloni un an et deux mois plus tard… Voilà les pulsions fanatiques que libère l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir».
À son élection comme première ministre (présidente du conseil italien) en septembre 2022, Giorgia Meloni avait été accusée d’avoir adhéré dans les années 1990 au parti néofasciste Mouvement social italien, avant de rejoindre, à sa dissolution, un parti héritier du MSI, l’Alliance nationale. La cheffe de gouvernement, qui avait dans sa jeunesse qualifié Benito Mussolini de «bon politicien» a depuis pris ses distances avec les mouvements néofascistes et nie toute proximité avec le fascisme.