Washington
C’est un sommet inédit qui s’est tenu vendredi à Camp David, le lieu de villégiature des présidents américains. Pour la première fois, les dirigeants de la Corée du Sud et du Japon ont été invités ensemble pour une rencontre trilatérale avec Joe Biden. L’objectif était de montrer un front uni face aux menaces croissantes de la Corée du Nord et à l’influence montante de la Chine.
Le président américain, depuis son accession à la Maison-Blanche, s’est efforcé de restaurer les relations avec les alliés des États-Unis, très perturbées par quatre ans de présidence Trump. Mais il a fait aussi de l’Asie, particulièrement de la Chine, le centre de sa politique. «C’est un événement historique», a résumé Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale. «Ce sommet ouvre une nouvelle ère dans la coopération tripartite pour les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud.»
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Depuis des années, la politique américaine se heurtait à un gros obstacle en Asie: la très forte animosité entre Séoul et Tokyo, qui remonte à l’occupation brutale de la péninsule coréenne par le Japon entre 1910 et 1945. Mais l’inquiétude sur le programme nucléaire nord-coréen et la crainte, notamment, d’une invasion de Taïwan ont poussé Séoul et Tokyo à mettre de côté leurs dissensions. Le président Yoon Suk-yeol a fait des efforts d’ouverture envers le Japon depuis son arrivée au pouvoir.
«La consolidation de cette alliance se produit maintenant parce que l’environnement est très incertain et instable», a expliqué Victor Cha, ex-conseiller sur l’Asie du président George W. Bush et membre du think-tank the Center for Strategic and International Studies. Outre la Chine, l’invasion de l’Ukraine a incité à accroître la coopération, estime-t-il. «Il n’y a rien de mieux qu’une vraie guerre, même si elle se passe dans une autre partie du monde, pour changer complètement ou affecter la manière dont les dirigeants voient leur propre sécurité.»
Joe Biden a beaucoup œuvré à ce rapprochement. Les dirigeants japonais et coréen ont été les premiers leaders étrangers à être invités à la Maison-Blanche, en 2021, et le président s’est rendu en visite officielle dans les deux pays. Dans le même temps, il a travaillé à développer d’autres partenariats dans la région pour contrer la Chine, comme le Quad, une alliance formée entre les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde. Il a aussi signé un pacte de sécurité avec la Grande-Bretagne et l’Australie, l’Aukus, et accru la présence militaire américaine aux Philippines…
Pour marquer l’importance de l’événement, le sommet s’est tenu non pas à Washington mais à Camp David, un lieu hautement symbolique. C’est dans cette propriété en pleine nature, au fin fond du Maryland, que le président Franklin Roosevelt avait invité en 1943 le premier ministre britannique Winston Churchill. C’est là aussi qu’en 1959, en pleine guerre froide, le président Eisenhower avait reçu Nikita Khrouchchev. En 1978, les accords de paix entre Israël et l’Égypte y ont été négociés.
Les trois pays devaient annoncer une coopération renforcée en termes de sécurité nationale avec une expansion de leurs exercices militaires, davantage de coordination en matière de défense de missile balistique et d’échange de renseignements. Ils vont également mettre en place des rencontres annuelles et un canal de communication en cas de crise. Ils ont approuvé un «engagement à se consulter», ce qui veut dire qu’une menace contre l’un des trois pays serait considérée comme une menace contre tous. L’accord ne va pas jusqu’à mettre en place un mécanisme comme celui de l’article 5 de l’Otan, qui oblige les alliés à agir en cas d’attaque sur l’un des membres. «Les trois pays reconnaissent un intérêt commun à avoir une réponse cohérente et coordonnée », a précisé Jake Sullivan, le conseil pour la sécurité nationale du président américain, ce qui est beaucoup moins contraignant.
«L’entière stratégie de la Chine est fondée sur le postulat que les alliés numéro un et numéro deux de l’Amérique dans la région ne peuvent pas travailler ensemble et être sur la même longueur d’onde», a déclaré Rahm Emanuel, l’ambassadeur américain au Japon lors d’une conférence récente à la Brookings Institution. Cette relation tripartite «change la donne».