Correspondant à Washington,

Si le président américain n’est pas au-dessus des lois, elles ne s’appliquent pas non plus entièrement à lui. La Cour Suprême, qui a entendu jeudi 25 avril les plaidoiries dans l’affaire Trump vs United States, où Donald Trump est accusé d’avoir tenté de renverser le résultat de l’élection de 2020, n’a pas entièrement accordé à l’ancien président l’immunité totale qu’il réclame pour les actes commis lorsqu’il était en fonction. Mais les juges n’ont pas non plus semblé satisfaits par la perspective de voir des poursuites pénales lancées contre un ancien président, et se sont montrés préoccupés par le précédent qu’elles pourraient créer.

L’audition de la Cour Suprême n’a donné que des indications sur ce que pourrait être sa décision finale. Mais le fait même que qu’elle se soit saisie de l’affaire constitue déjà une victoire pour Trump. Son procès le plus grave, qui devait s’ouvrir le 4 mars, a déjà été reporté lorsque la Cour a annoncé qu’elle allait examiner la question de l’immunité présidentielle. Un nouveau délai pourrait être imposé, et potentiellement retarder encore l’ouverture du procès, peut-être même au-delà de l’élection présidentielle de novembre. Si Trump est élu, il pourra faire abandonner les poursuites par le Ministère de la Justice, ou bien même, en théorie, se gracier lui-même en cas de condamnation.

Trump a été inculpé dans cette affaire en août 2023 par le Procureur spécial Jack Smith. Il doit répondre de quatre chefs d’accusation selon lesquels il aurait conspiré pour renverser les résultats de l’élection de 2020, ce qui avait abouti à l’émeute contre le Capitole le 6 janvier 2021. Les avocats de Trump avaient demandé à la juge de district Tanya Chutkan de rejeter les accusations portées contre lui, arguant qu’il ne pouvait être tenu pénalement responsable de ses actes officiels, même après avoir quitté ses fonctions. La juge a rejeté cette demande en février, et la Cour d’appel du district de Columbia a confirmé cette décision. Trump s’est alors adressé à la Cour suprême, qui a accepté fin février de se prononcer sur la question. Le procès, initialement prévu pour le 4 mars, est désormais suspendu dans l’attente de la décision de la Cour suprême.

Le procureur spécial Jack Smith et son équipe, qui ont rédigé l’acte d’accusation, affirment que la Constitution n’a jamais prévu que les présidents soient au-dessus des lois et que les actes reprochés à Trump, notamment le fait de produire des listes de faux grands électeurs dans des États remportés par Joe Biden, ne font pas vraiment partie de ses fonctions officielles.

Même si la majorité des juges n’a pas accepté l’idée d’une immunité présidentielle absolue, les juges conservateurs ont semblé plus préoccupés par le danger encouru par le président que par celui qu’il peut faire courir. Selon leur point de vue, en l’absence d’une immunité au moins partielle, les futurs présidents risqueraient de faire l’objet de poursuites systématiques motivées par des considérations politiques, et leur autorité serait diminuée s’ils devaient s’inquiéter des conséquences pénales de leurs actes.

Ils ont suggéré qu’ils souhaitaient poser des limites aux poursuites contre des anciens présidents, et définir une forme d’immunité qui durerait au-delà de leur mandat. Samuel Alito, l’un des juges conservateurs, a laissé entendre que le fait de refuser l’immunité aux anciens présidents risquait de compliquer le transfert du pouvoir, les présidents sortants craignant d’être poursuivis par leur adversaire et étant ainsi incités plutôt que dissuadés de respecter la loi. Ancien procureur fédéral, il a invoqué un dicton selon lequel un grand jury inculperait un sandwich si un procureur le lui demandait. «Quelle que soit notre décision, elle s’appliquera à tous les futurs présidents», a insisté Alito. «Cette affaire a d’énormes implications pour l’avenir de la présidence et celui du pays», a dit Brett Kavanaugh, l’un des juges nommés par Trump.

Les juges progressistes, Sonia Sotomayor, Elena Kagan et Ketanji Brown Jackson, ont soulevé les implications potentielles de l’immunité absolue d’un président. Kagan a demandé ce qui se passerait si un président ordonnait à l’armée d’organiser un coup d’État, ou bien vendait des secrets nucléaires. Jackson a déclaré qu’elle craignait que les présidents soient placés au-dessus des lois. «S’il n’y a pas de menace de poursuites pénales, qu’est-ce qui empêche le président de faire ce qu’il veut… et de transformer le bureau ovale en siège des activités criminelles dans ce pays?»

L’avocat de Trump a reconnu que certains des actes reprochés à Trump étaient d’ordre privé, notamment quand le président avait comploté avec ses avocats et ses conseillers de campagne pour répandre de fausses allégations de fraude électorale, ou établir de fausses listes de grands électeurs, et donc n’était pas entièrement couvert par l’immunité présidentielle. La juge Amy Coney Barrett, autre juge nommée par Trump, a en revanche semblé moins ouverte aux arguments avancés par la défense de l’ancien président. Elle a fait remarquer que si un président qui ordonne un coup d’État est destitué et condamné par le Sénat, mais qu’il est établi que ses actes faisaient partie de ses attributions officielles, il ne pourrait pas être poursuivi après avoir quitté ses fonctions si cette théorie était appliquée.

Quatre des juges conservateurs de la Cour semblant pencher en faveur d’une forme d’immunité présidentielle, la décision pourrait dépendre du président de la Cour, John Roberts. Celui-ci a critiqué la décision de la Cour d’appel. «D’après ce que j’ai lu, elle dit simplement qu’un ancien président peut être poursuivi parce qu’il est poursuivi», a ironisé Roberts. La Cour devrait rendre sa décision d’ici la fin du mois de juin ou le début du mois de juillet. Même si les juges estiment que Trump peut encore faire l’objet de poursuites pénales, le calendrier de leur décision, et les probables procédures supplémentaires, par exemple pour déterminer quels actes sont officiels et lesquels sont privés, pourraient encore retarder l’ouverture des procès. Celui de Washington DC, mais aussi celui de Floride, où Trump est accusé d’avoir conservé illégalement des documents confidentiels, et celui de Géorgie, où il est inculpé pour avoir tenté de renverser l’élection dans cet État, pourraient ainsi être retardés. Toute nouvelle décision pouvant chacune faire l’objet d’un appel, procédure qui pourrait à nouveau conduire à la Cour Suprême. Alors qu’il comparaissait à New York devant un tribunal pour son premier procès, Trump a vu la perspective de voir s’ouvrir les trois autres s’éloigner encore un peu. À défaut d’une victoire totale qu’aurait représenté l’affirmation par la Cour Suprême de son immunité totale, Trump remporte au moins un répit significatif.