Tel Aviv
L’affaire ne pouvait pas tomber à un pire moment pour une population palestinienne de la bande de Gaza bombardée, affamée et sans abri. La survie financière de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), leur seule source d’assistance d’urgence, est menacée.
Les États-Unis et l’Allemagne, les deux principaux contributeurs, ainsi que six autres pays – le Canada, l’Australie, l’Italie, le Royaume-Uni, la Finlande et les Pays-Bas – ont suspendu leur aide financière à la suite de l’implication d’au moins douze membres de l’agence sur les 30.000 employés à Gaza dans les massacres commis par le Hamas le 7 octobre dans le sud de la bande de Gaza, qui ont fait près de 1200 morts. La France, comme la Suisse, déclare ne pas prévoir de nouveau versement au premier trimestre 2024», mais «décidera le moment venu de la conduite à venir».
Les informations sur cette affaire ont été dévoilées par les services de renseignements de l’armée israélienne puis transmises aux Américains. Ces renseignements ont été ensuite confirmés par Philippe Lazzarini, le patron de l’UNRWA. Il a ainsi révélé que l’agence avait mis «un terme aux contrats» de certains de ses employés et lancé une enquête «indépendante et transparente». Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, qui s’est déclaré «horrifié» par cette affaire, a précisé que neuf employés ont été licenciés, un autre a été tué, tandis que le sort des deux derniers est inconnu. Mais, selon les services israéliens, le nombre d’employés impliqués dans des crimes de sang serait plus élevé. Après s’être livré à un mea culpa, Philippe Lazzarini a qualifié de «choquante» la réaction des pays contributeurs, alors que l’UNRWA joue un rôle vital pour assurer la survie de 2,2 millions de Palestiniens de la bande de Gaza confrontés à une situation humanitaire catastrophique.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes: 25.000 morts, dont une majorité de civils, selon les chiffres du ministère de la Santé du Hamas, plus d’un million et demi de Palestiniens déplacés qui ont dû quitter leur domicile pour fuir les combats, 45 % des bâtiments d’habitations détruits, selon un rapport de la Banque mondiale. L’UNRWA, active dans19 camps de réfugiés de la bande de Gaza, constitue la seule planche de salut dans une telle situation. L’agence assure l’éducation de plus d’un demi-million d’enfants, sans compter l’aide alimentaire, qui arrive au compte-gouttes dans une enclave où 80 % de la population vivait déjà avant la guerre sous le seuil de pauvreté. Cette institution est également active parmi les réfugiés en Jordanie, au Liban, en Syrie, en Cisjordanie. Établis en 1949 après l’expulsion ou la fuite de 700.000 Palestiniens à la suite de la guerre, qui a abouti à la création de l’État d’Israël, c’est la plus importante agence de l’ONU. Autre spécificité: seuls les Palestiniens bénéficient du statut de réfugiés de génération en génération, si bien que le nombre de Palestiniens dont s’occupe l’UNRWA atteint actuellement les 6 millions.
Pour Israël, cette perpétuation du statut de réfugiés ne fait qu’alimenter le conflit. Israël Katz, le ministre des Affaires étrangères, a profité de l’occasion pour lancer un appel à Philippe Lazzarini – «Démissionnez, s’il vous plaît» -, tout en se félicitant de l’arrêt des contributions internationales. «L’UNRWA n’aura pas de rôle à jouer le jour d’après (la guerre), cette agence perpétue la question des réfugiés, fait obstacle à la paix et sert d’armée civile au Hamas», a accusé le chef de la diplomatie. L’ONU est en effet loin d’être en odeur de sainteté en Israël. En décembre, Eli Cohen, le précédent ministre des Affaires étrangères, avait dénoncé Antonio Guterres – il avait sévèrement critiqué l’impact des opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza sur la population civile – et appelé à sa destitution en le qualifiant de «danger pour la paix mondiale».
Les appels lancés vendredi, à La Haye, par la Cour internationale de justice, la plus haute instance judiciaire de l’ONU, n’ont fait que renforcer cette hostilité anti-onusienne. Saisis à la demande de l’Afrique du Sud, qui accuse Israël de se livrer à un «génocide» contre le peuple palestinien dans la bande de Gaza, les juges de cette institution n’ont pas repris à leur compte, à ce stade de la procédure, cette accusation ni exigé un arrêt immédiat des combats, comme le redoutaient les dirigeants israéliens. Mais la cour a émis des ordonnances aux termes desquelles Israël doit s’interdire «tout acte de génocide» et «empêcher l’incitation directe et publique à commettre un génocide». Le tribunal a aussi appelé l’État hébreu à prendre «des mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture» d’une aide humanitaire «dont les Palestiniens ont le plus urgent besoin».
Benyamin Netanyahou a aussitôt tiré à boulets rouges sur la Cour en refusant de s’engager à obéir à ses injonctions. «Nous continuerons à nous battre jusqu’au bout contre le Hamas, une organisation terroriste génocidaire», a réaffirmé le premier ministre. Certains commentateurs ont dressé un bilan en demi-teinte de cette bataille juridique qui est loin d’être achevée. Comme le souligne Nadav Eyal, dans le quotidien Yediot Aharonot: «L’important pour les Palestiniens et les Sud-Africains était d’imposer un récit selon lequel Israël tente de tuer le peuple palestinien. Le simple fait que cette cour ait accepté d’examiner ces allégations constitue un succès pour eux.» Et d’ajouter: «Tant que durera la procédure, cette accusation de génocide continuera à peser sur nous.»