Après l’assassinat du procureur César Suarez ce mercredi à Guayaquil, le message est clair : « personne n’est intouchable ». Le magistrat a été tué de 20 balles en pleine journée alors qu’il circulait au volant de sa voiture dans la capitale économique du pays. César Suarez enquêtait sur les responsables de la prise d’otage en direct sur TC television le 9 janvier, qui a choqué tout le pays. Pendant de longues minutes des hommes cagoulés et lourdement armés ont menacé le personnel de l’émission en cours alors que la diffusion se poursuivait. Les journalistes et les techniciens semblaient terrorisés. L’un d’eux, travaillant aussi pour l’AFP, a envoyé un message de son téléphone : « Ils vont nous tuer ! ». Finalement, l’opération a été plus spectaculaire que dramatique, les 13 jeunes ayant mené l’action ont été arrêtés peu après par la police, sans avoir blessé ou tué qui que ce soit.

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Les soupçons se sont portés sur une puissante bande criminelle: les Tiguerones. Mais l’assassinat du procureur Suarez pourrait ne pas être lié à l’affaire de TC Television. Il est possible que d’autres personnes poursuivies par le procureur Suarez aient saisi l’occasion pour éliminer ce procureur réputé incorruptible.

César Suarez avait de nombreux dossiers en cours, notamment des affaires de corruption. Il s’intéressait à des entrepreneurs qui se seraient enrichis illégalement grâce à des ventes de matériel médical aux Hôpitaux pendant la crise du Covid. La situation en Équateur était si chaotique pendant la pandémie que certains entrepreneurs véreux ont profité du désarroi général pour passer des marchés biaisés avec les autorités sanitaires.

La procureure générale de l’Équateur, Diana Salazar, a écrit sur X : « En réponse au meurtre de notre collègue César Suarez (…) je serai catégorique : les groupes du crime organisé, les criminels et les terroristes n’arrêteront pas notre engagement envers la société équatorienne ». Les membres du système judiciaire équatorien sont particulièrement visés par les bandes criminelles. Deux procureurs ont déjà perdu la vie à Guayaquil en 2023.

Depuis des mois, les politiques font aussi l’objet de menaces et d’agressions. Un candidat à la présidentielle a été tué en août, Fernando Villavicencio. Il était journaliste et enquêtait sur les liens entre les bandes criminelles et le monde politique. Ses enquêtes avaient porté sur l’ancien président Rafael Correa. Six Colombiens ont été arrêtés, soupçonnés d’avoir perpétré le crime du candidat à la présidentielle. Ils ont été retrouvés quelques semaines après pendus dans leur cellule. Le maire de Mantas, sur la côte pacifique, a été criblé de balle en juillet dernier. Luis Chonillo, maire de Duran, ne peut plus se rendre dans sa ville, ayant failli perdre la vie lors d’une attaque en mai dernier.

La criminalité a explosé depuis quelques années. « On est passé en 2017 de 5,8 homicides pour 100 000 habitants (l’un des plus bas de la région) à 46 en 2023. C’est aujourd’hui l’un des taux les plus élevés d’Amérique latine, note Guillaume Long, universitaire équatorien et ancien ministre des Affaires étrangères. C’est absolument dramatique. Il y a des facteurs externes comme les modifications des routes de la drogue, et des facteurs internes comme l’affaiblissement de l’État avec des politiques drastiques d’austérité depuis 2018. Les ministères de la justice et celui de l’Intérieur ont été supprimés.»

Le travail de la justice équatorienne est particulièrement difficile depuis des mois. Elle est confrontée à une police, des juges et une armée largement infiltrés par les bandes criminelles. L’ambassadeur des États-Unis à Quito, Michael Fitzpatrick, a déclaré, il y a quelques mois, qu’« il y a des narco-généraux dans la police ». Pour Ernesto Anzieta, secrétaire à la sécurité de la ville de Quito, « jusqu’à aujourd’hui, aucun haut responsable de la police n’a été condamné. Mais fin 2023, une série d’arrestations dans les rangs de la police a eu lieu. L’institution est très faible et manque de crédibilité. On incorpore des nouveaux policiers après une formation de seulement six mois. Ils manquent d’équipements, d’armes. Beaucoup des nouvelles recrues montrent une faible motivation et ne se sont engagées que pour bénéficier d’un salaire, certes modeste mais garanti, dans un pays où la crise économique pèse sur l’ensemble de la population ».

Le meurtre du procureur Suarez arrive au plus mauvais moment pour le nouveau président Daniel Noboa. Après avoir déclaré l’État de guerre totale au début du mois de janvier, il a déployé plus de 20 000 militaires dans Guayaquil, avec des premiers résultats: 1975 personnes ont été arrêtées pour terrorisme, 5 « terroristes » ont été abattus, 32 otages libérés. Les prisons ont retrouvé leur calme. 55 opérations de pacification ont été lancées qui ont permis à la capitale économique de l’Équateur de retrouver un semblant de normalité. Les magasins ont enfin levé leur rideau de fer et la population s’est remise à déambuler dans les rues de la ville. Mais l’assassinat du procureur Suarez vient rappeler la puissance des bandes criminelles à un État qui semble impuissant à endiguer la violence.

Ce jeudi, l’armée et la police équatorienne ont lancé une vaste opération dans le complexe pénitentiaire de Guayaquil. « Des effectifs de l’armée et de la police réalisent une nouvelle intervention », pour notamment « contrôler les périmètres externes et internes du centre pénitentiaire », indique l’armée dans un communiqué. De nombreux militaires en armes ont pénétré dans le vaste complexe d’après l’AFP.