«C’était trop douloureux, je n’avais pas le choix», se désole Caroline Pursey face aux caméras d’ITV News le 7 février. L’Anglaise, originaire de Scunthorpe, affiche un sourire triste… Et édenté. Douze de ses dents manquent à l’appel. La soixantenaire souffrait depuis quelque temps d’une inflammation douloureuse de la voûte dentaire, mais impossible de trouver un dentiste du NHS (le service de santé public du Royaume-Uni, gratuit). «On m’a dit qu’il y avait trois ans d’attente», se lamente-t-elle. Caroline Pursey a donc arraché seule ses dents cariées, à la tenaille, n’ayant pas les moyens de se rendre dans un cabinet privé.
Une situation extrême qui est loin d’être isolée dans un contexte de crise générale du NHS, fragilisé par une série de grèves historiques depuis un an et des pénuries massives de praticiens. De plus en plus de dentistes délaissent le système public au profit des soins privés, davantage rémunérateurs et bien plus coûteux. Une étude menée par la British Dental Association (BDA) avançait qu’en 2022, 90% des dentistes n’acceptaient plus de nouveaux patients aux tarifs publics réglementés.
Nombreux sont alors les Britanniques qui avouent tenter de soigner leurs dents eux-mêmes. Un rapport publié en juillet 2023 par les autorités britanniques pointait ainsi les failles criantes du système de santé bucco-dentaire du pays. «10% des Britanniques affirment soigner eux-mêmes leurs dents», déplore notamment le rapport, qui s’appuie sur un sondage de YouGov. «C’est totalement inacceptable au 21e siècle», poursuit encore le document, qui souligne qu’un Britannique sur cinq n’est pas enregistré auprès d’un cabinet privé ou public.
Selon des données de l’OCDE, le Royaume-Uni compte 49 dentistes pour 100.000 habitants, le plus faible taux des pays du G7. Les services dentaires du NHS sont «à un stade quasiment terminal», avertissait mi-décembre le cercle de réflexion The Nuffield Trust, cité par l’AFP. Un constat corroboré par Rishi Sunak, le premier ministre, qui affirmait en février dernier sur la BBC que les soins dentaires avaient été «durement touchés par la pandémie. Si les services s’améliorent – avec 23% de soins supplémentaires effectués l’année dernière comparé à l’année précédente – nous savons que pour bien trop de gens, l’accès à un dentiste n’est pas aussi facile qu’il devrait l’être».
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En réponse, le gouvernement britannique a dévoilé le 7 février dernier un dispositif visant à inciter les dentistes à accepter de nouveaux patients et à s’installer dans les zones sous-couvertes. Financé à hauteur de 200 millions de livres sterling (235 millions d’euros), ce projet permettrait de traiter un million de nouveaux patients qui n’ont pas vu un dentiste du NHS depuis deux ans ou plus, en versant aux praticiens une prime «nouveaux patients» entre 15 et 50 livres. Selon le NHS, le dispositif pourrait donner lieu à plus de 2,5 millions de rendez-vous supplémentaires, dont jusqu’à 1,5 million de soins dans les 12 prochains mois.
Ce projet est cependant jugé largement insuffisant par les associations spécialisées. «Ce plan de redressement ne mérite pas son titre», réagissait à l’AFP Shawn Charlwood, président du British Dental Association’s General Dental Practice Committee. «Il n’arrêtera par l’exode du personnel ni n’apporte d’espoir aux millions de personnes qui ont du mal à avoir accès aux soins», ajoutait-il.
«Trop peu, trop tard», a tonné de son côté l’association Toothless in England (sans-dents en Angleterre) auprès de l’AFP. «Les caries dentaires affectent un jeune sur cinq, des cancers oraux évitables tuent des patients, et les récits terrifiants d’interventions artisanales ne sont pas issus des romans de Victor Hugo et Charles Dickens» au XIXe siècle, ajoutait l’association pour qui cette situation ne se serait jamais produite si les gouvernements s’étaient véritablement préoccupés de la question depuis 2006. Cette année-là avait marqué l’adoption d’une réforme modifiant la rémunération des actes dentaires, les rendant moins attractifs pour les dentistes.