À Rome
L’été romain est toujours étouffant. Mais aujourd’hui, Rome qui s’attend à voir le thermomètre grimper à 42 degrés poussé par l’anticyclone africain Cerbère, soit un record absolu, va se calfeutrer contre l’air brûlant. Hier vers 15 heures, il n’y avait que des touristes visibles dans les rues de la capitale italienne. Les Romains, eux, étaient prudemment parqués chez eux derrière leurs volets clos dans l’attente d’une baisse des températures, laissant une ville au ralenti et donnant presque l’illusion d’être vidées de ses habitants.
Jack et Johanna, une petite quarantaine, viennent du Yorkshire dans le nord de l’Angleterre, ils sont rouge pivoine et ruisselants, accrochés à leur petite bouteille d’eau déjà vide, et à leur parapluie qui leur sert d’ombrelle. Arrivés hier pour cinq jours, ils sortent à peine de la visite du Colisée, qu’ils avaient réservée depuis plusieurs semaines, et qui contrairement au Parthénon d’Athènes n’a pas été fermé. « Nous nous attendions à ce qu’il fasse chaud, mais pas à ce point-là, dit Jack. Mais de toute façon cela ne change rien à nos plans, car toutes nos visites ont été réservées à l’avance. Heureusement, demain nous allons au musée du Vatican, qui sera sûrement climatisé. On va probablement chercher davantage les lieux clos ».
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Un couple avec deux enfants entre cinq et dix ans, arrivé hier du Chili pour une semaine, se repose à l’ombre de l’arc de Constantin, près du Colisée : « On va faire les principaux sites que nous avions réservés, mais pour le reste on va chercher des activités faites davantage pour les enfants, comme un parc aquatique aux alentours de Rome. » De fait, aux caisses du Colisée, au pied du temple de Vénus, on reconnaît que « s’il y a encore beaucoup de monde, c’est parce que la plupart des places étaient prises à l’avance. Mais on voit que les queues pour des tickets sans réservation sont beaucoup moins longue. L’effet de la grande chaleur est déjà visible. »
Un couple d’Américains de l’Ohio, assis à l’ombre du Capitole sur le Forum romain : « On va faire moins de choses que prévu à l’origine, deux visites au lieu de trois ou quatre, car on ne peut pas courir d’un site à l’autre par cette chaleur. Heureusement, après nos quatre jours à Rome, on va à Berlin puis à Paris où il fait moins chaud. »
Ceux qui se sont risqués à sortir traquent l’ombre des immeubles, des palissades, des statues même. Et histoire de souffler un peu, ils vont volontiers s’asseoir sur le bord d’un trottoir ombragé dans les rues piétonnières. On s’approche des grandes fontaines pour s’asperger, sans toutefois y plonger. Nombre d’entre eux sont venus se réfugier dans la fraîcheur de l’air conditionné de la Rinascente, le grand magasin via del Tritone, qui a vu un afflux inhabituel pour un lundi. Pour se rafraîchir et se promener, un peu pour acheter aussi. Alors que ces tout derniers jours, Rome était écrasé par un « sur tourisme » massif avec une présence jamais vue jusque-là, hier entre 15 et 16 heures, les places et rues de la ville touristique étaient moins denses. C’est vers 19 heures, au moment où les pics de chaleur étaient passés, que les rues se sont de nouveau remplies d’une foule joyeuse de pouvoir à nouveau sortir.
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La vague de chaleur qui s’abat sur le sud de l’Europe et devrait durer toute la semaine a atteint un niveau jamais vu dans la péninsule. Alors que lundi, 17 villes italiennes étaient en alerte rouge, elles sont 20 ce mardi, et seront 23 mercredi. À Rome, il est prévu que la température dépasse de 4 degrés son record de 2003, avec un mercure qui pourrait frôler les 45 degrés. En Sardaigne, des pointes de 47 degrés sont attendues dans les zones intérieures du sud. En Sicile de 45 à 46 degrés comme à Syracuse, Agrigente et Catenanuova. Et dans les Pouilles on attend 44 à 45 degrés à Foggia. Des températures qui dépassent de 5 degrés leur record de 2003, et dont l’inconfort est aggravé par une forte humidité qui crée un sentiment d’étouffement. La nuit dans les villes les plus urbanisées, les températures restent supérieures à 30 degrés vers minuit. Même la mer atteint des températures exceptionnelles, à 30 degrés en surface, « un niveau tropical de la mer de Libye », dit un climatologue.
Alors que les urgences se remplissent, notamment de touristes étrangers imprévoyants, les autorités déploient des plans de prévention pour ne pas les engorger. Le ministère de la santé a demandé aux régions de se doter d’un « plan chaleur », d’activer des parcours d’assistance préférentielle aux urgences, les services de garde et de réactiver les unités d’assistance à domicile auprès des personnes repérées à risque, à commencer par les personnes âgées isolées pour qui la déshydratation peut être fatale. À Rome, alors que le 118 a reçu 1300 appels d’urgence hier, en hausse de 15% par rapport à la veille, l’alerte est maximale : aujourd’hui, la protection civile a prévu de mobiliser à partir de 11 heures sur vingt-huit points très fréquentés de la ville, les points de plus grande affluence 80 volontaires, appelés « les anges de la fraîcheur », reconnaissables à leur uniforme multicolore, qui devront repérer les personnes à risque de malaise, à commencer par les personnes âgées. Et leur prodiguer les conseils élémentaires : « Ne sortez pas aux heures les plus chaudes et hydratez-vous ». La carte des 3500 fontaines de la ville, si recherchées pour se rafraîchir, est accessible sur l’appli Waidy wow.
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Mais il n’y a pas que les touristes qui souffrent. Moins visibles, les SDF se retrouvent en première ligne des risques : « Quand les Romains ont déserté la ville pour l’été, les sans-abris sont livrés à eux-mêmes, et sont perclus de solitude » explique le porte-parole de la Communauté de Sant’Egidio, M Zuccolini, à l’agence ADN Kronos, qui a lancé un appel à la population pour ne pas laisser les gens seuls durant l’été. « Les foyers de Caritas Rome sont pleins et la liste d’attente s’allonge de plus en plus, explique Alberto Colaiacono, de Caritas Rome. Dans les trois cantines, Colle Oppio et Ostia, uniquement pour le déjeuner, et Via Marsala, uniquement pour le dîner, nous distribuons entre 1 500 et 1 700 repas par jour. Pour les sans-abri, la cantine, ce n’est pas seulement le repas, c’est aussi la possibilité d’utiliser les toilettes, de se laver, de changer de vêtements, de se rafraîchir, de trouver un peu de fraîcheur par rapport à la chaleur ».
C’est notamment dans les gares que l’afflux de sans-abri est le plus important parce que les gens peuvent y trouver des toilettes et de l’air conditionné pour se rafraîchir un peu. Là où ils croisent les touristes qui partent vers le nord à la recherche d’un peu de fraîcheur.