Même si les enjeux géopolitiques échappent la plupart du temps aux débats parlementaires, les députés veulent jouer leur rôle d’alerte. Mercredi, la commission de la défense de l’Assemblée nationale a rendu deux rapports préoccupants sur l’état de l’armée française. Le premier, rédigé par les députés Vincent Bru et Julien Rancoule, porte sur le niveau «préoccupant» des stocks de munitions. Calculés au plus juste, ceux-ci ont été mis à contribution pour soutenir l’effort de guerre en Ukraine. Le second, sous la houlette de Jean-Louis Thiériot et Natalia Pouzyreff, s’intéresse aux moyens de défense sol-air français, abîmés par trois décennies de sous-investissement. «Un réinvestissement au niveau des équipements est indispensable pour éviter le déclassement de notre défense sol-air», notent les rapporteurs en rappelant néanmoins que, contrairement à d’autres pays, la France n’avait pas de trous capacitaires : «Tous les segments de la défense sol-air de la très courte portée à la moyenne/longue portée sont couverts». Mais elle «ne dispose pas du volume de forces nécessaires pour soutenir, dans la durée, la totalité des contrats opérationnels qui lui sont fixés, notamment dans le cas d’un conflit de haute intensité», soulignent-ils.
Pour un sujet comme pour l’autre, les rapports soulignent l’inadéquation entre les ressources de l’armée et les menaces auxquelles elle pourrait avoir à faire face. «La dégradation globale des stocks français de munitions depuis la fin de la Guerre froide est désormais intenable au regard des ambitions militaires de la France», écrivent les députés Bru et Rancoule. Ils soulignent qu’en 2022 les armées ont acquis pour 248 millions d’euros de munitions pour recompléter les stocks. Ce budget passera à 273 millions. Le budget 2023 prévoit aussi 2 milliards d’euros de commandes… En 2023, l’armée devrait recevoir, entre autres, 5200 roquettes antichars, 10.000 obus de 155 mm, 20.000 obus de mortier, 30 METEOR, 77 MICA remotorisés, 200 MMP, 37 RMV SCALP rénovés, 31 EXOCET MM40…
Le choix de la qualité des armements au détriment de leur quantité a eu des conséquences profondes sur la chaîne industrielle, avec des goulets d’étranglement ou de longs délais de fabrication. Le rapport évoque des durées «de 10 à 20 mois pour les obus de 155 mm simples, de 24 à 36 mois pour les obus de 155 mm BONUS, d’environ 24 mois pour les missiles MMP, de 36 mois pour un Meteor, et jusqu’à 4 à 5 ans pour un Exocet. Ce cycle de production excède largement les délais de réactivité imposés aux armées en cas de crise de haute intensité», soulignent les auteurs. La question des stocks de munitions, comme des pièces détachées, préoccupe les états-majors militaires depuis longtemps. Avec la guerre en Ukraine, elle est redevenue stratégique.
La logique de flux, plus rentable économiquement, l’avait emportée pendant des années sur la logique de souveraineté. Pour les rapporteurs, il est maintenant urgent «d’adapter le recomplètement des stocks de munitions à des hypothèses d’engagement renouvelées», c’est-à-dire au risque de guerre qui pourrait être menée par la France dans le cadre d’une coalition mais aussi seule. Elle devra pouvoir alors être autonome. Ils préconisent aussi de favoriser l’utilisation de munitions réelles pour les phases de préparation opérationnelle. Cette réévaluation doit aussi tenir compte du nombre échantillonnaire de certains vecteurs.
À lire aussiLes Occidentaux sonnent l’alerte sur leurs stocks de munitions
La défense sol-air souffre elle aussi d’un manque de stocks de munitions. «Il est probable que la France souffre d’un véritable manque d’épaisseur, potentiellement critique face à un adversaire riche en munitions et déterminé», disent prudemment les députés Thiériot et Pouzyreff. L’état exact des stocks est une donnée confidentielle. «En réalité, intercepter l’ensemble des missiles ciblant des objectifs critiques pourrait s’avérer difficile après quelques salves», préviennent-ils.
Leur rapport alerte aussi sur les autres menaces qui pèsent sur les pays de l’alliance atlantique comme les drones ou les missiles hypervéloces. Beaucoup reste à faire pour se prémunir contre l’ensemble des menaces venues du ciel. «Chaque jour passé est un jour perdu pour une remise à niveau de nos forces et de nos alliés stratégiques, qui prendrait entre 2 et 4 ans selon les produits considérés», disent-ils, sans s’appesantir sur les besoins croissants liés à la guerre en Ukraine.
À VOIR AUSSI – L’Ukraine utilise plus de munitions que l’Otan n’en produit, prévient Jens Stoltenberg