C’était la dernière action politique et citoyenne voulue par Alexeï Navalny avant sa mort en détention, le 16 février dernier. Ses alliés appellent donc, à sa place, les Russes à participer à l’action «Midi contre Poutine». Elle consiste à inciter tous ceux qui ne soutiennent pas Vladimir Poutine à aller voter à l’élection présidentielle à une date et une heure précise : dimanche 17 mars à midi. Soit le dernier jour du scrutin. Le premier tour de l’élection russe se déroule en effet du 15 au 17 mars et va très probablement se conclure par la réélection de Vladimir Poutine pour six ans.
En quoi consiste concrètement cette opération ? Un site internet, consacré à l’événement contestataire, détaille la marche à suivre : «Présentez-vous rapidement à votre bureau de vote à midi le dimanche 17 mars. N’hésitez pas à faire la queue pour les bulletins papier. Refusez le vote électronique sous quelque forme que ce soit. (…) Votez pour qui vous voulez, ou pour quelqu’un qui n’a pas déjà été président, ou contre tous (en cochant plus d’une case), abîmez le bulletin de vote en le gribouillant, ou ne votez pas du tout.»
L’objectif des opposants de Vladimir Poutine : «Montrer que nous sommes nombreux. Les files d’attente qui s’aligneront dans tout le pays montreront l’ampleur du mécontentement qui s’est accumulé dans le pays, combien de personnes veulent un avenir normal et stable, une vie meilleure.» Ce message fait notamment référence à l’invasion en Ukraine, contestée par une partie de la population russe. Le site conseille également de faire «passer le mot». «Parlez-en à vos voisins, vos connaissances, vos amis», peut-on lire.
Cette initiative avait d’abord été promue par Alexeï Navalny en janvier dernier, avant qu’il ne décède en prison. «Il s’agit d’une véritable action de protestation à l’échelle nationale qui aura lieu non seulement dans chaque ville mais dans chaque quartier de chaque ville», écrivait-il alors dans une série de tweet sur X, le 1er février dernier.
Cette dernière action politique de l’activiste est d’ailleurs qualifiée de «testament politique» par le journal russe Novaïa Gazeta , connu pour lutter en faveur de la liberté d’expression en Russie.
Si Navalny est à l’origine de la promotion de l’événement, l’idée même de l’opération revient à Maxim Reznik, l’une des grandes figures de l’opposition politique et ancien membre du conseil municipal de Saint-Pétersbourg. Alexeï Navalny lui avait d’ailleurs rendu hommage dans un tweet : «L’auteur de cette idée est Maxim Reznik, un de mes amis de longue date.»
Maxim Reznik relaie activement l’action et des messages politiques forts à travers les médias russes. Il s’est notamment exprimé sur le site d’opposition Meduza à propos de l’événement du 17 mars : «Tous les gros titres ne porteront pas sur la performance électorale de Poutine mais sur ce qu’il se sera passé à “midi”. Et ça sera déjà une victoire pour la résistance», a-t-il déclaré. «Notre objectif n’est pas de gagner l’élection (…) mais de la contrecarrer», a-t-il ajouté.
À lire aussiPoutine appelle la population à faire preuve de «patriotisme» en convoquant les Russes aux urnes
Depuis la mort de Navalny, l’opération a été reprise en main par sa femme, Ioulia Navalnaïa, devenue l’incarnation de l’opposition russe en exil. Dans une vidéo en ligne, elle exhorte ses compatriotes à se «rendre au bureau de vote le même jour et à la même heure», et à «voter pour n’importe quel candidat, sauf Poutine ou abîmer votre bulletin de vote, ou encore y écrire “Navalny” en grosses lettres».
À la demande de son mari, de nombreuses figures de l’opposition soutiennent l’action citoyenne, notamment sur les réseaux sociaux. Et pour eux, cette action est riche en symbole et entraînera un avant/après. Son ami et soutien Leonid Volkov, agressé le 12 mars à son domicile en Lituanie, où il s’est exilé, a évoqué les possibles conséquences d’un tel événement, dans les colonnes du média Meduza. «Si deux ou trois personnes se réunissent dans un village ou une petite ville et que chacun se rend compte qu’il n’est pas le seul libéral, alors peut-être que cela aura encore plus de valeur que dans les grandes villes peuplées», a-t-il avancé.
Leonid Volkov était par ailleurs l’ancien président de la Fondation anti-corruption, l’ONG russe créée par Navalny et dissoute par le régime en 2021. Cette fondation a ainsi également soutenu l’opération «Midi contre Poutine» sur X : «L’idée est simple : les électeurs anti-Poutine viendront aux bureaux de vote et voteront comme ils le souhaitent.»
À lire aussiRussie : après le choc, l’opposition en exil s’imagine un avenir sans Navalny
D’après Alexeï Navalny, cette opération est «légale et sûre» car il serait difficile pour les autorités russes d’arrêter les opposant de Vladimir Poutine venus voter. «Que peuvent-ils faire ? Vont-ils fermer les bureaux de vote à midi ? Vont-ils organiser une action de soutien à Poutine à 10 heures du matin ? Vont-ils enregistrer tous ceux qui sont venus à midi et les mettre sur la liste des personnes peu fiables ?», tweetait-il en février avant d’ajouter qu’à midi «il y a beaucoup de monde et il est tout simplement impossible d’identifier ceux qui votent contre Poutine».