Bruxelles
Le futur européen de la Géorgie serait-il déjà compromis? La situation explosive du petit pays du Caucase inquiète l’exécutif européen, alors que les tensions n’ont eu de cesse de grimper depuis plusieurs semaines. Quelques heures à peine avant le vote de la loi sur «l’influence étrangère» , mardi en fin de matinée, une altercation a éclaté au sein de l’Hémicycle, opposant physiquement les députés hostiles au texte et ceux membres de Rêve géorgien, le parti au pouvoir. Malgré les multiples condamnations internationales et la pression de la rue, la loi a été adoptée en début d’après-midi, avec une large majorité.
À Bruxelles, ce résultat était attendu. Depuis le début des manifestations, la Commission européenne avait assuré «suivre les événements de très près». Lundi dans la journée, douze pays membres, dont la France, ont envoyé une lettre au haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères, Josep Borrell, et au commissaire chargé de l’élargissement, Olivér Varhelyi, pour réclamer une «réaction forte» de la part de l’Union. «Des conséquences concrètes doivent être envisagées dans le cas où la loi serait adoptée», écrivent-ils, rappelant l’incompatibilité du texte avec les «valeurs et principes fondamentaux» de l’UE. Une déclaration unanime avait été envisagée la semaine précédente, avant d’être torpillée par le refus de la Hongrie et de la Slovaquie, peu enclins à se prononcer sur la question de l’influence Russe.
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Le même jour, quatre eurodéputés, membres du PPE, des sociaux-démocrates, de Renew Europe et des Verts, ont également fait part de leurs inquiétudes dans une lettre elle aussi adressée au haut représentant de l’Union. Ils appellent de leurs vœux l’arrêt de toute discussion ayant trait à l’inclusion de la Géorgie au sein de l’UE «tant que cette loi sera en effet», et demandent l’instauration de sanctions contre le premier ministre géorgien et le président du Parlement, ainsi qu’envers Bidzina Ivanishvili. Oligarque, millionnaire, président du parti Rêve géorgien, l’homme d’affaires est connu pour être proche du pouvoir russe et est considéré par beaucoup de Géorgiens comme étant, dans l’ombre, le véritable dirigeant du pays.
À l’annonce de l’adoption du texte, les réactions européennes ont été rapides. Le Danemark, par la voix de son ministère des Affaires étrangères, a désigné la loi comme «contraire aux valeurs européennes (…), adoptée contre l’avis des véritables alliés de la Géorgie». «Nous soutenons l’appel du peuple à la démocratie et appelons fermement le gouvernement à retirer cette loi et à respecter son engagement sur la voie de l’UE», ont déclaré les quatre eurodéputés dans un message posté sur X. Du côté de l’exécutif européen, seule la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a réagi à travers un message dans lequel elle réaffirme la solidarité de l’institution avec les manifestants géorgiens.
Au sein des Vingt-Sept, ce sont les pays Baltes, eux-mêmes anciennes républiques soviétiques, qui expriment le plus de solidarité à l’égard du peuple géorgien. Les ministres estonien, letton, lituanien et islandais des Affaires étrangères ont déclaré dans la foulée se rendre en Géorgie «pour exprimer (leurs) inquiétudes aux responsables politiques et rencontrer la société civile», estimant que le projet de loi «était incompatible avec l’orientation proeuropéenne du pays».
Plus tôt dans la journée, la Commission avait lourdement insisté sur les «graves conséquences» qu’aurait l’adoption de cette loi, faisant clairement savoir que cette législation constituerait un obstacle au processus d’adhésion de la Géorgie à l’UE. Mais le projet de loi a poursuivi son chemin avec une efficacité brutale, parfois au sens propre, lorsque plusieurs bagarres ont éclaté au sein du Parlement géorgien. Ce texte a été décrit comme un outil «inspiré par le Kremlin» pour traquer les médias indépendants et les voix de l’opposition, dans un pays qui a longtemps oscillé entre la sphère d’influence russe et ses rêves européens. La loi doit désormais être transmise à la présidente, qui a dit vouloir y mettre son veto, mais le parti au pouvoir dispose d’assez de voix au Parlement pour passer outre.
Officiellement candidate à l’entrée dans l’Union européenne depuis décembre dernier, la Géorgie incarne la guerre d’influence que livre la Russie dans les anciens États membres de l’URSS. L’accession à l’UE est vue par tout un pan de la population comme étant le seul futur possible pour le pays, alors que le gouvernement géorgien semble aujourd’hui pencher du côté de Moscou.