Washington
Ces jours-ci, les médias ne parlent que des bourdes et des lapsus de Donald Trump. Dernièrement, c’est surtout Joe Biden qui s’était fait remarquer par ses bévues et ses discours décousus… Mais l’ex-président s’emmêle lui aussi les pinceaux. Et ce n’est pas juste parce qu’il prononce le mot «Hamas» comme «hoummous» ou semble avoir du mal à lire le téléprompteur.
Dans le New Hampshire, il a présenté Viktor Orban, le premier ministre hongrois, comme le «leader de la Turquie». Il s’est vanté d’être mieux placé dans les sondages que Barack Obama (ce dernier étant à la retraite), et de l’avoir vaincu dans le passé, ce qui est également faux. En montant sur scène lors d’un meeting électoral à Sioux City, dans l’Iowa, il a lancé un «Bonjour, Sioux Falls!», Sioux Falls étant une ville du Dakota du Sud. Et il a déclaré à ses partisans: «Vous n’avez pas à voter, ne vous embêtez pas à aller voter.» Fatigue ou signe de gâtisme?
Décidément, c’est une drôle de campagne électorale. «Et l’une des élections les plus étranges», estime Ron Bonjean, un consultant politique républicain. À moins d’un changement de dernière minute, l’Amérique se prépare à un duel d’hommes à l’âge très avancé, entre Joe Biden, bientôt 81 ans, et Donald Trump, 77 ans. À côté, Ronald Reagan, réélu à 73 ans, ferait presque figure de jeunot. Quel que soit le vainqueur, il figurera parmi les plus vieux présidents de l’histoire des États-Unis. Au grand dam d’une grande partie de l’électorat qui ne veut absolument pas de ces deux politiciens d’âge mûr, peu représentatifs d’un pays où 45 % de la population a moins de 35 ans.
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Ce n’est pas la seule incongruité. Le candidat républicain fait l’objet de pas moins de 91 chefs d’inculpation dans plusieurs procès, après deux procédures d’«impeachment» (destitution), et essaie de se faire réélire à la tête d’un gouvernement qu’il a tenté de renverser par un coup d’État. Encore plus surprenant, il semble que la campagne des primaires côté républicain soit quasiment jouée, avant même d’avoir commencé. À deux mois du premier scrutin de l’Iowa, Donald Trump caracole largement en tête dans les sondages et apparaît déjà comme le grand vainqueur. Selon le site FiveThirtyEight, il totalise en moyenne près de 60 % des intentions de vote contre 12 % pour Ron DeSantis, son rival le plus proche. Dans l’Iowa, il affiche quelque 30 points d’avance sur le gouverneur de Floride. Difficile dans ces conditions pour ses adversaires d’avoir une chance de le rattraper.
L’ex-président en profite pour mener une campagne tout à fait hétérodoxe. Il a tenu jusqu’ici peu de meetings électoraux et refuse de participer aux débats télévisés. Il préfère diffuser une interview ou organiser un meeting concurrent le soir des débats, afin de plomber l’audimat de ses adversaires. Une stratégie qui lui évite ainsi d’avoir à subir les attaques de ses rivaux. Il faut dire que ses apparitions au tribunal et ses critiques constantes contre les juges et les témoins ne lui laissent guère de loisirs. Toute sa communication est bâtie sur ses démêlés judiciaires, qu’il présente comme une cabale démocrate pour torpiller sa réélection.
Autre originalité, les deux favoris affichent une impopularité record. Étonnamment, le même pourcentage d’Américains – 54 % – a une opinion défavorable de Donald Trump et de Joe Biden, alors que 40 % les perçoivent favorablement, toujours selon le site FiveThirtyEight.
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Le président en titre reste en effet impopulaire, malgré une économie qui se porte plutôt bien, un taux de chômage au plus bas et quelques grandes réformes votées… Las! Les électeurs retiennent surtout la forte inflation, la hausse du prix de l’essence, sans oublier l’âge de Biden. Le mécontentement se fait surtout sentir dans l’aile gauche du parti, auprès des jeunes et des minorités. «Il y a un vrai risque qu’ils boudent les urnes en 2024. Ils veulent un dirigeant plus fringant et moins pro-Israël», observe Hank Sheinkopf, un stratège démocrate. Ce qui inquiète la Maison-Blanche. Car comme tous les quatre ans, le scrutin a des chances de se jouer à quelques voix dans une poignée d’États.
«On est devant un paradoxe. On sait déjà qui vont être les deux nominés mais la campagne reste pleine d’incertitudes et de surprises possibles», résume Ross Baker, spécialiste de politique à l’université Rutgers. Compte tenu de leur âge, aucun des deux candidats n’est à l’abri d’un pépin de santé. Quant à Donald Trump, il est possible qu’il soit condamné et écope d’une peine de prison. En outre, dans le Colorado et dans plusieurs États, des actions en justice ont été lancées pour empêcher que son nom ne figure sur le bulletin de vote, au motif que ses actes ont conduit à l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, violant ainsi le XIVe amendement de la Constitution. La section III de cet amendement stipule que tout individu «impliqué dans une insurrection ou une rébellion» ne peut briguer un mandat électif. In fine, c’est probablement la Cour suprême qui statuera.
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Il est très rare qu’un postulant à la Maison-Blanche se retire de la course. Le dernier en date, le président Lyndon B. Johnson, a décidé en 1968, en pleines primaires, d’interrompre sa campagne. Il faisait face à une opposition croissante à cause de la guerre du Vietnam. Mais le scénario d’un abandon de Joe Biden ou Donald Trump en cours de route n’a rien d’improbable. C’est sans doute la raison pour laquelle les adversaires républicains de Trump aux primaires s’accrochent, malgré leurs piètres performances.
Plusieurs démocrates se positionnent également en coulisses. En théorie, la vice-présidente, Kamala Harris, serait la suppléante désignée de Joe Biden, mais elle n’est pas très populaire. «Il sera toutefois difficile et dangereux d’essayer de lui prendre sa place. Une telle manœuvre risque d’aliéner l’électorat noir, un pilier du parti», poursuit Hank Sheinkopf. Qu’importe: les prétendants se pressent au portillon. Ces derniers mois, plus d’une demi-douzaine d’élus ont lancé des organisations nationales, effectué des voyages à l’étranger pour étoffer leur CV et sillonné les États clés. Au cas où…