L’Institut Ouïghour d’Europe (IODE) entend mettre fin au «climat de terreur» qui pèse sur le peuple musulman sunnite en France. Pour cela, l’association a déposé une plainte contre X, mercredi 22 mai, pour dénoncer des «actes d’intimidation et de harcèlement» et la «répression» menée, selon elle, par les autorités chinoises dans l’Hexagone. D’après l’IODE, la peur grandit au sein de la diaspora ouïghoure après une série de faits «d’une extrême gravité qui s’inscrivent dans le cadre d’un long processus génocidaire», et qui se sont déroulés au début du mois de mai, durant la visite de Xi Jinping en France.
Le 5 mai, soit le jour de l’arrivée du président chinois à Paris, une manifestation «théâtralisée» organisée par des Ouïghours, en la présence de l’IODE, s’était tenue place de la Madeleine dans le 8e arrondissement de la capitale. Dilnur Reyhan, la présidente de l’association, enseignante à Sciences Po et à l’Inalco, affirme qu’elle a été perturbée par deux groupes d’individus différents. «Des jeunes d’origine africaine, qui portaient des masques chirurgicaux, ont crié “Menteurs, menteurs” avec des pancartes à la main», décrit la sociologue. Un autre groupe, composé cette fois de Chinois habillés en noir, s’est invité sur le parvis de l’église. Tous avaient un téléphone à la main pour filmer la manifestation. «Ils ont chanté l’hymne chinois dans le but de perturber notre scène de théâtre», raconte Dilnur Reyhan.
Gulbahar Haitiwaji, une rescapée ouïghoure qui vit en France depuis dix ans, se souvient que ce second groupe brandissait des pancartes avec des photos d’activistes ouïghours – Dolkun Isa et Rushan Abbas – dont «les visages étaient barrés par une croix». «C’est la première fois que j’assiste à une tentative d’intimidation des Chinois. Avant, ils nous prenaient simplement en photo», explique la femme de 57 ans. Gulbahar Jalilova, une autre rescapée d’un camp d’internement de Ouïghours en Chine, dit «ne plus dormir» depuis le 5 mai. «La scène d’intimidation lui rappelle le camp. Tous les mois, une dizaine de militaires chinois criaient à travers les grilles de la cellule des femmes. Dans la seconde, elles devaient se mettre nues et les mains sur la tête, sous peine d’être rouées de coups», détaille Dilnur Reyhan.
Et d’ajouter : «Elle vit avec la peur que ces événements se reproduisent en France.» La présidente de l’association poursuit en rappelant que «plusieurs Ouïghours ont été hospitalisés en psychiatrie ces dernières années en raison des intimidations et menaces chinoises».
Selon des études et d’ONG occidentales, depuis 2017, plus d’un million de Ouïghours ou de membres d’autres groupes ethniques, principalement musulmans, ont été internés dans des «camps» de «rééducation» où les violations de droits de l’Homme sont nombreuses. La Chine, pour sa part, présente une partie de ces infrastructures comme des «centres de formation professionnelle».
Trois jours après ces incidents lors de la manifestation, Gulbahar Jalilova a personnellement été prise pour cible. Un groupe de Chinois, toujours habillés en noir, s’est présenté devant son domicile. «Heureusement, elle n’était pas chez elle. Mais son fils y dormait encore», précise Marine Mazel, chargée de plaidoyer politique pour l’IODE. La préfecture de police aurait indiqué à l’IODE que ces personnes étaient «des Chinois nés en Chine et qu’au moins une personne est liée à l’ambassade chinoise à Paris», assure-t-elle.
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Le week-end dernier, le journal Le Monde a fait état de notes de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et de la préfecture de police de Paris – auxquelles le quotidien a eu accès – «qui révèlent la présence de fonctionnaires d’État appartenant aux services chinois lors (…) d’une “action d’intimidation” avortée, le 8 mai, à l’encontre d’une réfugiée politique d’origine ouïghoure». Réagissant à cet article sur son site internet, l’ambassade de Chine en France a fustigé mercredi une «fake news», «une narration des journalistes truffée d’erreurs» et «des trucages évidents».
«On ne sent pas que les Ouïghours sont protégés», déplore Marine Mazel. Si Gulbahar Haitiwaji n’a pas encore été victime d’intimidation personnelle, elle déclare faire «toujours attention dans la rue», est toujours «accompagnée lorsqu’elle va faire ses courses» et vérifie toujours si quelqu’un la filme. Après ces événements, elle confie que sa «peur» grandit.
Après la venue du groupe aux pieds de l’immeuble de Gulbahar Jalilova, les individus auraient été «contrôlés par la police» qui a eu en sa possession «des passeports chinois et des visas des neuf hommes et femmes», indique Libération. Depuis, «nous avons aucune nouvelle, et Gulbahar n’a pas été entendue», souligne Marine Mazel.
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C’est pourquoi Gulbahar Haitiwaji, et de nombreux autres Ouïghours, soutiennent la plainte déposée par l’IODE. «Il faut qu’on montre qu’on n’a pas peur et qu’on ne va pas se laisser faire», déclare-t-elle. Dilnur Reyhan espère que cette action en justice va pousser le gouvernement français à prendre en main la question de la «protection des Ouïghours». «Les services chinois connaissent désormais l’adresse de Gulbahar Jalilova. Il faudrait qu’on lui propose un nouveau logement sécurisé», donne en exemple la présidente de l’association. «Avec cette plainte, on attend une réponse de l’État, avec une enquête pour qu’on comprenne la réalité des agissements des Chinois», insiste-t-elle.