Feu vert pour Rome. La Cour constitutionnelle albanaise a validé l’accord négocié entre l’Albanie et l’Italie pour l’ouverture sur le sol albanais de centres d’accueil pour les migrants secourus en mer dans les eaux italiennes. Il y a deux mois, la Cour suprême avait censuré le projet de loi controversé du gouvernement Sunak d’expulser vers le Rwanda les demandeurs d’asile arrivés illégalement sur le sol britannique, l’obligeant à revoir sa copie.
Signé en novembre dernier, l’accord entre l’Italie et l’Albanie prévoyait quant à lui la mise en place de deux centres d’accueil dans le port de Shengjin, sur la côte adriatique. L’un doit gérer l’enregistrement des demandeurs d’asile, l’autre loger les migrants dans l’attente de leur réponse. Gérés par les autorités italiennes, ces centres doivent accueillir jusqu’à 3000 migrants par mois, soit environ 36.000 par an, selon les estimations du ministère de l’Intérieur.
Giorgia Meloni, qui a promis de lutter contre l’immigration illégale, est confrontée à l’augmentation des arrivées sur les côtes italiennes. Selon le ministère italien de l’Intérieur, le nombre de débarquements illégaux a augmenté de près de 50% en 2023 par rapport à l’année précédente, avec 157.652 arrivées contre 105.131 en 2022.
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L’accord «ne nuit pas à l’intégrité territoriale de l’Albanie», précise le communiqué de la Cour, qui a suscité l’ire des ONG. Dans un recours déposé début décembre 2023, l’opposition albanaise arguait que l’accord entre Giorgia Meloni et son homologue Edi Ramasigné violait la Constitution et la souveraineté du territoire albanais. L’accord «devrait être autorisé au préalable par le président de la République» et ne respecte pas les «normes internationales en matière de droits des migrants», affirmait-elle. Un argumentaire que la Cour constitutionnelle a choisi d’écarter.
L’externalisation des demandes d’asile séduit de plus en plus de pays sur le Vieux Continent, alors que les passages clandestins augmentent fortement. En 2023, selon Frontex, l’agence européenne aux frontières, le nombre d’arrivées illégales a crû de 17% pour un total de près de 380.000 migrants en un an. L’objectif affiché est d’empêcher que les demandeurs se maintiennent en Europe une fois déboutés, comme c’est le cas dans la plupart des pays de l’Union. Pour les pays concernés, il s’agit surtout de décourager les migrants de venir demander l’asile sur leur territoire.
Pour le moment, le projet de Giorgia Meloni a donc échappé au couperet des juges. À Londres, Rishi Sunak n’avait pas eu cette chance. En réponse au camouflet infligé par la Cour suprême britannique, Rishi Sunak a signé un nouvel accord avec Kigali, appuyé sur une version remaniée du projet de loi. Ce nouveau texte définit le Rwanda comme un pays-tiers sûr, ce que les tribunaux ne pourront plus contester. Pour limiter les recours en justice, il propose également de ne pas appliquer aux expulsions certaines dispositions de la loi britannique sur les droits humains.
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Pour le moment, le texte a passé deux étapes décisives au Parlement britannique, mais son examen est long et délicat. Lundi 29 janvier au soir, Rishi Sunak a remporté le premier vote à la chambre haute du Parlement. Après plus de six heures d’intenses débats, les membres de la Chambre des Lords ont rejeté un amendement qui aurait tué la législation par 206 voix contre 84. Le projet a ensuite été adopté en deuxième lecture sans vote formel, ce qui signifie qu’il fera maintenant l’objet d’un examen ligne par ligne pendant des jours. Il faut s’attendre à ce que les Lords tentent de vider le texte de sa substance le mois prochain, lorsqu’ils commenceront à débattre et à voter sur des amendements.
Le vote à la chambre des communes n’avait pas été moins périlleux, le 12 décembre dernier. Le texte n’avait été adopté en première lecture qu’après sept heures de débats et par 313 voix contre 269. L’heure de vérité sonnera avec le retour de la loi devant la chambre des communes. En effet, le parti tory, divisé sur ce texte, menace d’imploser. Menés par deux vice-présidents du parti conservateur, Lee Anderson et Brendan Clarke-Smith, une soixantaine de députés de l’aile droite dénoncent une loi trop édulcorée.
Après s’être abstenus, ces contestataires menacent de voter contre le texte lorsque celui-ci reviendra de la chambre des Lords. À moins que plusieurs amendements ne soient adoptés. Ils exigent par exemple que toutes les possibilités de recours soient supprimées pour les migrants expulsés. De quoi refroidir les conservateurs plus modérés. Pour espérer sortir de cette séquence politique par le haut, Rishi Sunak devra donc déployer des trésors de diplomatie.
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L’enjeu est de taille pour Rishi Sunak, dont l’avenir politique dépendra notamment de ce texte, après sa promesse d’«arrêter les bateaux». D’autant plus que le premier ministre a déjà perdu des plumes dans la bataille migratoire. Sa politique a fait l’objet des critiques acerbes de son ex-ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, et a entraîné la démission de Robert Jenric, secrétaire d’État à l’Immigration.
Quoi qu’il en soit, les traversées illégales de la Manche ont enregistré une forte baisse en 2023, avec près de 30.000 migrants débarqués, contre 45.000 en 2022. La Grande-Bretagne a déjà versé au Rwanda environ 240 millions de livres (environ 280 millions d’euros) pour accueillir des demandeurs d’asile. Mais aucun migrant n’a été envoyé en Afrique, la justice ayant stoppé un avion avant son décollage en juin 2022.
La décision de la Cour suprême britannique a eu des répercussions bien au-delà de Westminster. Notamment en Allemagne, où le gouvernement Scholz, sous la pression du FDP, le parti libéral, avait fini par accepter à contrecœur d’examiner la possibilité de traiter les demandes d’asile depuis un pays africain. Une étude de faisabilité doit donc être menée sur le sujet. Mais l’opposition, notamment écologiste, s’est appuyée sur la décision de la Cour suprême pour affirmer que cette mesure violerait nécessairement les droits humains.
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En réponse, le FDP a soutenu qu’il n’était «pas impossible» de mener ce projet à bien. Le parti libéral membre de la coalition au pouvoir, en la personne de Ann-Veruschka Jurisch, députée très engagée sur la politique migratoire, a proposé que les contrôles des demandes soient effectués sous la supervision du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
En Allemagne, 329.120 premières demandes d’asile ont été enregistrées en 2023, soit 51% de plus que l’année précédente, selon l’Office fédéral pour la migration et les réfugiés. Face à cette pression migratoire croissante et à la suite des succès électoraux de l’Afd (parti de droite populiste anti-immigration – NDLR) lors des dernières élections régionales, le gouvernement d’Olaf Scholz a pris la question migratoire à bras-le-corps.
Bon gré mal gré, l’idée fait son chemin dans le débat national allemand. Elle a notamment été adoptée par la CDU, dont le positionnement a longtemps été très modéré sur la question migratoire. Dans un document dévoilé le 11 décembre et intitulé «Vivre en liberté», le parti longtemps dirigé par Angela Merkel a dévoilé les grandes lignes de son nouveau programme : il se prononce donc pour l’externalisation des procédures d’asile vers des pays tiers.
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L’Autriche avait aussi fait part de son intérêt pour le projet d’externalisation porté par Londres. En novembre dernier, le ministre de l’Intérieur, Gerhard Kerner, avait annoncé vouloir travailler en coopération étroite avec Londres sur cette question. Kerner avait reçu début novembre celle qui était alors son homologue britannique, Suella Braverman, pour échanger notamment sur la coopération entre États européens pour organiser le traitement des demandes d’asile depuis des pays tiers. «Le Royaume-Uni a beaucoup d’expérience en matière de traitement des demandes d’asile en dehors de l’Europe, avait-il déclaré. L’Autriche peut en bénéficier.»
Au Danemark, pays dont la politique migratoire est l’une des plus restrictives d’Europe, une loi a été adoptée en 2021 sur l’externalisation du traitement des visas. Le texte prévoit lui aussi d’orienter les demandeurs vers le Rwanda, mais il est toujours au point mort, Copenhague négociant avec Bruxelles sur le sujet. Même si le Danemark peut déroger au droit européen en matière d’immigration et d’asile grâce à des «options de retrait» négociées au moment de la signature du traité de Maastricht, le Danemark reste soumis à la Convention de Genève et à la Convention européenne des droits de l’homme. Il est donc demandé au Danemark de garantir le respect du principe de non-refoulement, et de garantir que le transfert de personnes qui craignent avec raison d’être persécutées soit empêché.
En novembre dernier, le ministre danois de l’Immigration et de l’Intégration, Kaare Dybvad Bek, a déclaré à Reuters que «l’objectif du gouvernement reste de délocaliser le traitement des demandes d’asile dans un pays partenaire en collaboration avec l’UE». Il avait ajouté que la décision de la Cour suprême du Royaume-Uni «ne change rien» à la nécessité de trouver de nouvelles solutions pour créer un meilleur système d’asile tout en «s’attaquant aux conséquences importantes de la migration irrégulière».